Les droits des animaux d’Aristote à Martha Nussbaum

« L’homme est supérieur aux animaux non pas parce qu’il a la capacité de les torturer, mais parce qu’il est capable d’éprouver de la compassion pour eux ; et l’homme éprouve de la compassion pour les animaux parce qu’il sent que le même principe qui habite en l’homme habite en eux ».

Lev Tolstoj, “Pensées de sages”

Une photo a fait le tour du web montrant un petit chien s’approchant et consolant le jeune homme qui est en train de représenter la Passion de Jésus, lors de la théâtralisation du chemin de croix. La photo a été prise au Guatemala et relayée sur le web également en Italie, suscitant des commentaires admiratifs de la part des internautes, qui remarquent la principale qualité dont l’animal a fait preuve à cette occasion : l’empathie.

Les animaux sont souvent entrés dans les représentations païennes et chrétiennes. Dans le premier cas, on les retrouve par exemple dans les fresques égyptiennes, ou dans les scènes domestiques et guerrières des Grecs et des Romains, ou encore, ils sont le symbole de l’identité d’un peuple : le loup pour les Irpiniens, le sanglier pour les Samnites, le pic pour les Picènes, c’est-à-dire les anciens peuples italiques. Il s’agit d’animaux totémiques, c’est-à-dire identifiant le clan : l’ancêtre ou l’esprit qui guide. Parmi ces derniers, citons par exemple le loup apprivoisé par saint François (bien que des études récentes indiquent qu’il s’agissait en fait d’un brigand), ou le miracle de la mule agenouillée devant saint Antoine bénissant l’hostie.

Des philosophes comme Héraclite et Platon utilisent les animaux – en particulier le cheval – pour expliquer les vérités suprasensibles. Cependant, la philosophie n’a presque jamais été unanime quant à la considération du monde animal comme porteur de sa propre sensibilité, ni digne d’être reconnu comme détenteur de droits, au premier rang desquels celui de la vie. Même la théologie chrétienne, oubliant les nombreuses voix du passé qui s’étaient exprimées en faveur des droits des animaux, a exprimé sa propre vision hiérarchique et anthropocentrique de l’univers.

En fait, la philosophie a exprimé sur cette question des positions différentes et contrastées, et ce dès l’Antiquité.

Aristote, le grand spécialiste des phénomènes naturels et du monde animal, plaide d’une part pour une sorte de continuité entre les espèces, y compris les animaux et l’homme, mais réaffirme d’autre part sa vision anthropocentrique, que fera sienne plus tard également saint Thomas d’Aquin.

Le Stagirite, en effet, écrit dans la Politique :

Il faut croire que les plantes sont faites pour les animaux et les animaux pour l’homme, ceux qui sont domestiqués pour qu’il les utilise et s’en nourrisse, ceux qui sont sauvages, sinon tous, du moins la plupart, pour qu’il s’en nourrisse et s’en serve pour ses autres besoins, pour qu’il en tire des vêtements et d’autres objets[1].

Comme on l’a vu, Thomas d’Aquin, au Moyen Âge, reprenant Aristote, place l’homme au sommet de l’échelle de la création et lui attribue une âme rationnelle immortelle. Au contraire, selon lui, les animaux ne sont dotés que de l’âme sensorielle, destinée à périr avec le corps. C’est pourquoi, dans la Somme théologique, il peut affirmer que l’homme ne commet pas de péché en tuant des animaux et que “dans la hiérarchie des êtres, les moins parfaits sont faits pour les plus parfaits”[2]. En outre, pour saint Thomas, les animaux sont dominés par l’instinct et n’ont pas de sens moral ; par conséquent, le comportement de l’homme à leur égard n’est pas pertinent.

C’est plutôt Théophraste, le plus célèbre disciple d’Aristote, qui, s’inspirant des travaux zoologiques de son maître, plaide en faveur d’une affinité substantielle entre l’homme et l’animal, tant sur le plan physique que psychique, la structure de l’un et de l’autre étant la même. La pitié envers les animaux est clairement exprimée par Théophraste :

Si quelqu’un soutenait que, à l’instar des fruits de la terre, Dieu nous a aussi donné des animaux pour notre usage, je lui répondrais qu’en sacrifiant des êtres vivants, on commet une injustice à leur égard, car on les prive de leur vie[3].

Parmi les penseurs stoïciens qui se sont exprimés sur les droits ou non des animaux, on cite Chrysippe, Celse ou encore le poète Lucrèce.

Chrysippe, admiré et cité par Cicéron, affirmait que les animaux existent « pour servir les besoins de l’homme ». Au contraire, Celse a non seulement nié que l’univers ait été créé pour l’homme, mais il a également nié de manière plus convaincante le caractère unique de l’homme[4].Pour ce faire, il donne l’exemple des fourmis et des abeilles. Les premières communiquent entre elles et vénèrent les morts. Les secondes ont une reine accompagnée de serviteurs, font la guerre, remportent des victoires, ont le sens du travail et construisent des villes et des banlieues. Le philosophe grec attribue même la religiosité et la connaissance de Dieu aux oiseaux et aux éléphants.

Lucrèce et, plus tôt encore, Plutarque, attribuent pour leur part aux animaux des qualités qu’ils partagent avec les humains – percevoir, sentir, désirer, et même souffrir pour Lucrèce[5].

Les deux auteurs s’opposent fermement à la mise à mort d’animaux pour satisfaire le palais humain et s’attardent tous deux sur la brutalité de l’homme, qui inflige douleur et souffrance à des êtres sans défense[6].

Plus tard, entre le IIIe et le IVe siècle après JC, le philosophe et théologien Porphyre réaffirme qu’il est faux que Dieu ait créé les animaux pour l’homme et vante la conduite de Pythagore, qui pratiquait le végétarisme et s’éloignait le plus possible des chasseurs et des bouchers[7]. Porphyre, d’ailleurs, dans son ouvrage De abstinentia, passe en revue toute une série de peuples pratiquant le végétarisme, qui reste pour lui la plus grande forme de respect pour les autres formes de vie sur la planète. Convaincu que les animaux ont une âme rationnelle et croyant également à la transmigration des âmes même dans les corps animaux, Porphyre considère la consommation de viande comme une forme de cannibalisme.

Mais c’est surtout chez Descartes que la dévalorisation du monde animal devient complète, puisque, dans un univers dominé par des lois mécaniques, le seul sujet pensant est l’homme, tandis que les animaux sont réduits à des automates, sans pensée ni sensibilité.

Et c’est précisément à l’époque moderne que, en opposition à la vision anthropocentrique de l’aristotélisme et du cartésianisme, un débat intéressant s’est développé, connu sous le nom de querelle des bêtes ou « débat sur l’âme des animaux ». Ses partisans voulaient opposer des arguments à Aristote, qui considérait les animaux comme dépourvus de raison, et à Descartes, qui leur refusait même la capacité de ressentir.

C’est précisément dans cette controverse que se trouve l’œuvre de l’ecclésiastique Gerolamo Rarancio, intitulée Quod animalia bruta ratione utantur melius homine (Les animaux utilisent souvent mieux la raison que les humains). Peut-être écrit en 1539, cet ouvrage attribue aux animaux l’intelligence, la sagesse, l’esprit de sociabilité et même la crainte de Dieu. Il est resté inédit jusqu’en 1648, date à laquelle le libertin Gabriel de Naudé l’a imprimé en omettant l’adverbe “toujours” du titre, dans un but clairement provocateur. Les libertins étaient d’ardents défenseurs des droits des animaux, s’inspirant du philosophe Michel de Montaigne, qui considérait les humains incapables de comprendre l’âme des animaux. Dans les Essais, le philosophe français les considère capables de langage et de communication entre eux, capables d’altruisme et d’amour :

Comment pourraient-ils ne pas se parler ? Ils nous parlent et nous leur parlons. De combien de façons parlons-nous à nos chiens ? Et ils nous répondent. (Montaigne, 1970, 593-594).

Montaigne compare les préjugés envers les animaux aux préjugés dirigés contre les peuples « sauvages » des Amériques, vers lesquels se sont dirigés les conquêtes et le colonialisme à ce moment historique. Pourtant, souligne Montaigne, de même que chaque peuple a sa culture, chaque animal a son propre regard sur le monde. Ainsi est introduit le critère du relativisme, qui est un point clé dans la réflexion des libertins. Charron, ami de Montaigne, condamne la cruauté envers les animaux dans son ouvrage La Sagesse, de 1601. Le libertin Pierre Bayle, contemporain de Locke, dans son Dictionnaire historique et critique (1696), en réévaluant les capacités des animaux, explique que les âmes des animaux et des hommes sont de même nature et que les âmes des premiers sont comme celles des enfants. En effet, dit Bayle, même Aristote et Cicéron à l’âge d’un an n’avaient pas de pensées plus sublimes que celles d’un chien, et si leur enfance s’était prolongée jusqu’à trente ou quarante ans, leurs pensées seraient restées au niveau des « sensations ou des gourmandises ». C’est donc par hasard qu’ils ont dépassé les animaux. Mais il y a plus : les bêtes ne pèchent pas, mais leur âme est soumise à la douleur et à la misère, tandis que les hommes pèchent chaque fois qu’ils tuent, chassent, pêchent en recourant à mille ruses et violences, comme Domitien qui s’amusait à tuer des mouches. N’est-il donc pas cruel de soumettre une âme innocente à tant de tourments ?

Il convient de rappeler que c’est au XVIIe siècle, plus précisément en 1641, qu’une première réglementation partielle a été adoptée pour protéger les droits des animaux. Elle a été édictée par le tribunal du Massachusetts. La règle stipule ce qui suit :

Aucun homme ne peut exercer de tyrannie ou de cruauté envers les animaux qu’il élève pour son propre usage.

C’est pourtant avec Leibniz que s’ouvrent des perspectives intéressantes quant à la reconnaissance des capacités des animaux. Le philosophe allemand, inventeur de la monadologie, revalorise au maximum chaque individualité vivante et exprime l’idée d’une nature animée, dans laquelle toutes les choses sont liées et où la multiplicité des points de vue à partir desquels les êtres individuels regardent les choses est une manifestation de la gloire de Dieu. Dans la Théodicée (1697), Leibniz soutient l’idée que Dieu n’a pas de perspective anthropocentrique, mais qu’il est aimant envers chaque créature, veillant à l’équilibre de l’univers. Même les animaux, selon lui, ont des sentiments, une mémoire, une morale. Mais c’est avec la fameuse doctrine des « petites perceptions » que se révèle l’erreur des cartésiens qui, en confondant perception et conscience, ont cru à la fausseté, à savoir que les bêtes n’ont pas d’âme (Leibniz, 1697c, 276).

Le tournant de la philosophie éthique est représenté par les Lumières.

Réaffirmant que les animaux ont des sentiments, une mémoire et des idées, le philosophe des Lumières Voltaire précise, sous le titre “Bêtes” de son Dictionnaire philosophique (1764), que c’est “une honte” et “une misère d’avoir dit que les bêtes sont des machines dépourvues de connaissances et de sentiments, qu’elles font toujours tout de la même manière, qu’elles n’apprennent rien, et qu’elles ne se perfectionnent pas”. Selon lui, il suffit d’observer le monde des oiseaux : ils font leur nid en s’adaptant à la position du socle qu’ils trouvent (un mur, la branche d’un arbre) ; les canaris apprennent immédiatement une mélodie et se corrigent s’ils font une erreur. La pratique de la vivisection sur animaux vivants est condamnée, en raison des souffrances que cette pratique leur occasionne.

Voltaire est en très bonne compagnie en ce qui concerne l’idée que les animaux doivent être considérés moralement : Rousseau, Condillac, Bonnet, Tyron, Hume sont également là pour le rappeler. Kant, quant à lui, n’ajoute pas grand-chose : l dit seulement qu’éviter la cruauté envers les animaux nous aide à ne pas être cruels envers les autres êtres humains.

En Italie, Giacomo Leopardi participe à la querelle des bêtes à travers ses écrits. D’abord dans son œuvre de jeunesse Dissertazione sopra l’anima delle bestie, puis dans quelques réflexions du Zibaldone, dans les Operette morali, dans les Paralipomeni della Batracomiomachia et dans le Dialogo di un Folletto e di uno gnomo.

Pour le poète des Marches, « les animaux ont un usage très suffisant de la raison » (Zibaldone, 2 décembre 1820) et aussi des sentiments. L’anthropocentrisme, réfuté à plusieurs niveaux, est le résultat d’une erreur de jugement de la part des différentes espèces vivantes, qui croient chacune que le monde a été créé spécifiquement pour elles.

En Angleterre, Jeremy Bentham, aux considérations traditionnelles sur l’intelligence et le langage des animaux, ajoute un nouvel élément de réflexion sur la considération morale qui leur est due, à savoir leur capacité à souffrir. Dans Introduction to the Principles of Morals and Legislation il écrit :

La question à poser n’est pas « Peuvent-ils raisonner ? », ni « Peuvent-ils parler ? », mais « Peuvent-ils souffrir ? ». (BENTHAM JEREMY, Introduction aux principes de morale et de législation [1789], traduit par Stefania Di Pietro, UTET, Turin 2013).

De plus, dans le même ouvrage, Bentham prophétise :

Un jour viendra où les animaux de la création acquerront les droits qui n’ont pu leur être retirés que par la main de la tyrannie. Pourquoi la loi devrait-elle refuser sa protection à tout être sensible ?

Arthur Schopenhauer, qui, comme le montre sa biographie, n’avait d’affection sincère que pour son chien, est convaincu que

Une pitié sans limites pour tous les êtres vivants est la plus forte garantie d’un bon comportement moral (Ditadi Gino, I filosofi e gli animali, Isonomia, 2 vols, Este (PD) 1994, II, 785).

En 1871, Giuseppe Garibaldi promeut la première société italienne de protection des animaux, tandis que vingt ans plus tard, Henry Salt fonde la Humanitarian League (Ligue Humanitaire), dans le but d’abolir toute souffrance infligée à tout être sensible. Parmi ses objectifs figurait l’abolition de la chasse.

Il convient également de mentionner une tendance qui, au sein de l’évolutionnisme positiviste, souligne la continuité entre l’espèce animale et humaine.

Le XXe siècle est un siècle prolifique d’œuvres qui réaffirment le respect dû aux animaux. Parmi ceux-ci : Richard Hood, Jack Dudley Ryder, Piero Martinetti, Cesare Goretti, Albert Scheitzer, Peter Singer (avec le célèbre essai Animal Liberation) et Tom Regan.

Des associations sont créées pour protéger les droits des animaux. Le 15 octobre 1978, la Déclaration universelle des droits de l’animal est proclamée à Paris. Ce document, élaboré par des juristes, des scientifiques et des associations, s’il n’a pas de valeur juridique, a une grande valeur symbolique et ouvre la voie à des législations nationales sur le sujet.

Le défaut des positions de Regan, Singer et d’autres réside, selon certains critiques, dans le fait qu’ils ont essayé de fonder l’éthique des animaux en dehors des émotions (sentiment de sympathie ou de compassion à leur égard).

Le philosophe américain Gary Lawrence Francione défend le droit fondamental des animaux à ne pas être traités comme des objets appartenant à des humains.

À l’époque moderne, la philosophe américaine Martha Nussbaum s’est également intéressée aux émotions et aux droits des animaux, dépassant ainsi la théorie des anciens stoïciens qui niaient simplement que les animaux aient des émotions. C’est pour cette raison qu’elle s’est tournée vers l’éthologie moderne et la psychologie cognitive pour obtenir une évaluation cognitive des autres espèces.

Une partie de sa théorie néostoïque (comme Nussbaum l’appelle elle-même) est le point commun entre les humains et les autres animaux[8]. La philosophe va plus loin en reconnaissant également aux animaux le droit d’être soutenus dans leur capacité à agir et à se battre. Par ailleurs, certaines conceptions libérales vont plus loin, reconnaissant des droits à tous les êtres vivants, même aux écosystèmes.

Nussbaum, dans sa célèbre théorie des capacités, qui est à la base de son idée de justice, reconnaît que les humains et les animaux ont des capacités et que les États doivent soutenir et encourager le développement de chacun d’eux[9]. Le philosophe reconnaît également que les expériences menées sur les animaux nous disent que la compassion animale est plus limitée que la compassion humaine.

L’étude des animaux, selon Nussbaum, est intéressante car elle révèle nos erreurs et nous permet d’en apprendre beaucoup sur les racines communes de la compassion et de l’altruisme. À cet égard, l’auteure cite l’étude de Waal[10] sur une importante distorsion de l’émotivité humaine : l’anthroponégation. Il s’agit de la tendance des êtres humains à nier leur animalité et leur parenté avec les autres animaux, avec toute la charge de dégoût que cela implique.

Nussbaum est d’accord avec Aristote, qui, en tant que grand biologiste et philosophe, a soutenu que tous les animaux, et pas seulement les humains, craignent les maux extérieurs qui peuvent leur nuire[11]. Ici aussi, comme dans d’autres émotions, il y a une composante évaluative des avantages et des dommages que la réalité extérieure implique pour nous :

La peur n’est pas seulement la première émotion à apparaître dans la vie humaine, c’est aussi la plus partagée au sein du règne animal. (La monarchia della paura, p. 34)[12].

Pour conclure, Martha Nussbaum est convaincue que la liste des capacités, convenablement élargie, doit être attentive et respectueuse des formes de vie de chaque espèce et promouvoir pour chacune, la capacité de vivre et d’agir selon la forme de vie de cette espèce (à cet égard, Nussbaum ajoute que même si le choix doit être préservé partout, là où la créature a la possibilité de choisir, s’en tenir au fonctionnement sera plus adapté dans ces cas que pour les êtres humains. Cf. Capabilités p. 216). Le philosophe est également convaincu qu’il faut mettre fin à toutes les injustices considérables commises par l’industrie alimentaire, comme dans la pêche et la chasse sportive. En ce sens, même l’utilisation de viande artificielle, obtenue à partir de cellules souches, peut, selon elle, contribuer à un monde plus juste.

Bibliographie

Aristote, Historia animalium.

Aristote, Politica.

Bentham Jeremy, Introduzione ai principi della morale e della legislazione [1789], trad. it. par Stefania Di Pietro, UTET, Turin 2013.

Caffo Leonardo, Martha Nussbaum: «Dobbiamo agire tutti, subito. Anche la vita degli animali deve poter fiorire», en ligne : http://www.corriere.it/sette/attualita/23_settembre_20/martha-nussbaum-dobbiamo-agire-tutti-subito-anche-vita-animali-deve-poter-fiorire-95c62dec-50a8-11ee-a355-a30027630bcd.shtml

Celse, Il Discorso vero [II sec. d.C.], par Giuliana Lanata, Adelphi, Milan 1987.

De Montaigne Michel, Essais, 1580, 1582, 1588.

De Mori Barbara, Che cos’è la bioetica animale, Carocci, Rome 2007.

Ditadi Gino, I filosofi e gli animali, Isonomia, Este (PD) 1994.

Francione Gary Lawrence, Introduction to Animal Rights: Your Child or the Dog?, Temple University Press 2000;

The Animal Rights Debate: Abolition or Regulation, Columbia University Press 2010.

Lucrèce, De rerum natura.

Plutarque, De sollertia animalium.

Plutarque, De eu carnium.

Porphyrium, Vita pitagorica.

Rorario Gérolamo, Quod animalia bruta ratione utantur melius homine, 1539.

Thomas D’Aquin, Summa Theologiae, XIII sec.

Nussbaum Martha C., La monarchia della paura. Considerazioni sulla crisi politica attuale, Il Mulino, Bologne 2020.

Nussbaum Martha C., Political Emotions: Why Love Matters for Justice, Harvard University Press, Cambridge 2013. Tr. it. Emozioni politiche. Perché l’amore conta per la giustizia, Il Mulino, Bologna 2014.

Nussbaum Martha C., Animal Rights: Current Debates and New Directions, Oxford University Press, Toronto 2004, tr. it. Giustizia per gli animali. La nostra responsabilità collettiva, Il Mulino, Bologne 2023.

Nussbaum Martha C., Creare capacità. Liberarsi dalla dittatura del Pil, Bologna, Il Mulino, 2012.

Nussbaum Martha C., Creating Capabilities. The Human Development Approach, The Belnap Press, Harvard University Press 2011, tr. fr. Capabilités. Comment créer les conditions d’un monde plus juste?, Ed. Flammarion, Paris 2012. Trad. it. Capacità personale e democrazia sociale, (a cura di Zanetti G.), Diabasis, 2003.

Nussbaum Martha C., Frontiers of Justice: Disability, Nationality, Species Membership, Harvard University Press 2006. Tr. it. Le nuove frontiere della giustizia. Disabilità, nazionalità, appartenenza di specie, il Mulino, Bologna, 2007.

Nussbaum Martha C., Upheavals of Thought: The intelligence of Emotions, Cambridge University Press, Cambridge 2001. Tr. it. L’intelligenza delle emozioni, Il Mulino, Bologna 2004.

Safina Carl, Animali non umani, tr.it. par Isabella C. Blum, Adelphi, Milano 2022.

Singer Peter, Animal Liberation: A New Ethics for Our Treatment of Animals, The New York Review, New York 1975. Tr. It. Liberazione animale, Il Saggiatore, Milano 2010.


[1] ARISTOTE, La Politica, tr.it. par Renato Laurenti, Laterza, Rome-Bari 1966, 26.

[2] GINO DITADI, I filosofi e gli animali, Isonomia, Este (PD) 1994, 2. voll, 427.

[3] Cité dans BARBARA DE MORI, Che cos’è la bioetica animale, Carocci, Rome 2007, p. 64.

[4] Celse, Le vrai discours [II sec. d.C.], par Giuliana Lanata, Adelphi, Milan 1987.

[5] PLUTARQUE, De sollertia animalium.

[6] Plutarque dans De eu carnium et Lucrèce dans De rerum natura, du I siècle. a.C.

[7] C’est ce qu’il affirme dans Vita pitagorica.

[8] Cf. la page 21 de L’intelligenza delle emozioni (2004). Ici, le terme « communauté » est rendu en anglais par commonality.

[9] Cf. Capabilités (2012), p. 36 ; M. Nussbaum, Frontiers of Justice (2006), p. 33. Les capacités dont parle Nussbaum sont : 1) La vie 2) La santé physique 3) L’intégrité physique 4) Les sens, l’imagination et la pensée 5) Les sentiments 6) La raison pratique 7) L’appartenance 8) Les autres espèces 9) Le jeu 10) Le contrôle des siens environnement.

[10] Page 196de l’ouvrage Emozioni politiche (2014).

[11] ARISTOTE, Historia animalium.

[12] Selon Nussbaum, dans le monde animal, la peur est surmontée par des formes de coopération (comme celle entre éléphants). L’enfant, quant à lui, n’a qu’un seul moyen d’obtenir ce qu’il veut : utiliser les autres).

Francesca Soriani, C’è una scala in un gradino, 2023, TEMPERINO ROSSO EDIZIONI

Daniela Paganelli

Quel che stupisce in Francesca Soriani, autrice poco più che trentenne, è  l’intensità e la profondità delle emozioni, espresse nei pochi versi di ogni sua singola lirica. Attesa, incertezza, stupore, speranza, delusione… tutto trova spazio nelle sue poesie:

              Inchiodata sul pianerottolo,

              sperimento il senso

              di verticalità di un quadro

              che oscilla alla parete.

                                          Davanti alle scale

Nata a Ferrara, Francesca Soriani porta nelle sue poesie l’ironia e l’autoironia di un Ariosto, o l’atmosfera rarefatta di un De Chirico:

              Consegno a un ignaro passante

              l’eco del sorriso precedente

              che ancora mi svia.                                                                                                             

              Che bella coppia…                                                                                                 

              che non siamo.                                                                                                    

                                          Viavai                                                                                                           

              Poso gli occhi sull’ambiente

              circostante e gli rivolgo

              solo sguardi di circostanza.

              Registro a grandi linee

              i contorni, quel tanto che basta

              per non inciampare nel trattino

              fra paesaggio e stato d’animo.

                                          Fuori luogo

Non mancano testi destinati a un lettore colto e magari autocompiaciuto, come il precedente o come Ad rivum eundem, e non mancano poesie che testimoniano di una singolare capacità di manipolare argutamente e smaliziatamente la lingua:

              Ho fatto mente globale

              per capire il locale.

              Ho fatto mente locale

              per capire il globale.

              Ho fatto mente glocale

              per capire me stessa,

              ma non mi sono sentita

              compresa, solo compressa

              da mandar giù appena sveglia.

                                          Risveglio

Forse un po’ troppo autoreferenziale, in un approccio alla poesia come scoperta e confessione di sé, Francesca Soriani regala comunque versi di sorprendente bellezza, mai però svenevoli perché bilanciati da un lessico acuminato e imprevedibile:

              Cede la planimetria

              dello sguardo e plana

              nella notte,

              agli angoli della bocca.

                                          Il bacio

Insomma, non (ancora) una Wisława Szymborska, anche se proprio con la poetessa polacca Francesca Soriani condivide l’attenzione alle piccole realtà quotidiane, a quel microcosmo (specchio del macrocosmo) in cui ognuno può riconoscersi:

              In coda alla cassa mi sento sempre fuori posto.

              Tutti gli altri clienti in fila sono sicuri di sé,

              cioè hanno a portata di mano

              portafoglio, contanti, tessera del negozio,

              ricevute vecchie per cambiare un prodotto

              acquistato in precedenza, le borse piene

              di tasche programmate razionalmente

              e i capelli dove devono stare,

              risoluti e ordinati, mai scompigliati.

              Io, anche se mi preparo per tempo,

              risulto sempre impreparata:

              non trovo mai niente, non so fare i calcoli

               e mi perdo nella ricerca dell’impercettibile

              monetina da un centesimo

              che pensavo di avere proprio lì,

              in quel punto, dietro a quella cerniera.

              Avrei bisogno di un attaccapanni

              per appendere giubbotto e sciarpa,

              di un tavolino per appoggiare le sporte,

              di una parrucchiera armata di pettine

              per sciogliere tutti i miei nodi

              nel momento della stampa dello scontrino.

              Così sarei più tranquilla, forse.

                                                        Alla cassa

Forse. Che bella, bellissima parola.

La bioenergetica come arte di vivere. Riflessioni sul testo di Alexander Lowen “Il piacere. Un approccio creativo alla vita”

Salvatore Grandone, La bioenergetica come arte di vivere. Riflessioni sul testo di Alexander Lowen Il piacere. Un approccio creativo alla vita

Keywords: Piacere, Bioenergetica, Arte di vivere, esercizi spirituali, tecnologie del sé

Abstract

In questo articolo si vuole mostrare come nella bioenergetica di Alexander Lowen sia rintracciabile una vera e propria arte di vivere. Partendo dall’analisi del saggio Il piacere. Un approccio creativo alla vita si indicheranno diverse risonanze filosofiche antiche e moderne con l’intento di tracciare le affinità tra “l’approccio creativo alla vita” di Lowen e l’orizzonte delle “tecnologie del sé” (Michel Foucault) e degli “esercizi spirituali” (Pierre Hadot). Lungi dallo sminuire il valore della riflessione di Lowen, l’accostamento si propone di mettere in risalto la ricchezza e l’originalità di una psicologia che sa ancora dare una valenza forte alla terapeutica. Per Lowen infatti la cura autentica di sé non può essere separata da un mutamento radicale del nostro rapporto con l’esistenza.

Dans cet article on va montrer comment la bioénergétique de Alexander Lowen se configure come un véritable art de vivre. Par l’analyse de l’œuvre Le plaisir. Une approche créative à la vie, on va repérer plusieurs résonances philosophiques antiques et modernes. L’intention est de tracer l’affinité entre ‘’l’approche créative à la vie’’ de Lowen et l’horizon des ‘’technologie du soi’’ (Michel Foucault) et des ‘’exercices spirituels’’ (Pierre Hadot). Loin de sous-estimer la valeur de la réflexion de Lowen, le rapprochement va mettre en lumière la richesse et l’originalité d’une psychologie qui manifeste une forte attitude thérapeutique. En effet, d’après Lowen, le souci authentique de soi est lié de manière intime à un changement radical de notre rapport avec l’existence.

La teoria del piacere in chiave bioenergetica di Lowen presenta molti punti di contatto con il pensiero antico e moderno.

Ne Il piacere. Un approccio creativo alla vita Lowen mostra la stretta connessione tra movimento, espressione e piacere. Il piacere autentico accompagna l’azione che incarna la nostra natura più profonda. Afferma Lowen: «una persona si trova in uno stato di piacere quando i movimenti del suo corpo fluiscono liberamente, ritmicamente e in armonia con l’ambiente».[1]

Riprendendo una distinzione già avanzata da Aristotele, Lowen sottolinea la profonda differenza tra i piaceri che nascono dal riempimento di un vuoto e i piaceri che derivano dall’azione. Le forme di piacere da coltivare sono quelle che appartengono alla seconda categoria. In questo caso infatti l’esperienza del piacere coincide con l’espansione del sé, con la creazione e il sentirsi vivi. «Il piacere di vivere stimola la creatività e l’espansività, e la creatività accresce la gioia e il piacere di vivere».[2]

Una prima eco filosofica del ragionamento di Lowen è visibile nell’Etica nicomachea di Aristotele. Secondo lo Stagirita:

Per ciascuno è piacevole quello di cui lo si dice ‘appassionato’, per esempio, per l’appassionato di ippica un cavallo, per lo spettatore appassionato uno spettacolo, e allo stesso modo sono piacevoli anche le azioni giuste per l’amante della giustizia e più in generale le azioni secondo virtù per l’amante della virtù. […] Per gli amanti delle belle azioni sono piacevoli le cose piacevoli per natura. E tali sono le azioni secondo virtù, cosicché sono piacevoli e in sé e per costoro. Il loro modo di vivere, quindi, non ha affatto bisogno che si aggiunga il piacere, come se fosse una specie di decorazione posticcia, ma ha il piacere in se stesso.[3] 

L’“appassionato” prova piacere nell’attività che lo appassiona. Il piacere non è qualcosa che si aggiunge dall’esterno, ma appartiene all’attività stessa. L’uomo virtuoso non ha bisogno di ricercare il piacere, in quanto questo è intrinseco all’agire che eleva l’anima. Per colui che persegue la virtù l’azione giusta è in sé piacevole proprio come per l’amante dell’ippica è piacevole il cavallo o andare a cavallo.

L’affinità con Aristotele sembra riproporsi anche quando Lowen si sofferma sulla grazia della persona che vive in armonia con sé.

Per Lowen,

La grazia descrive la qualità di un individuo il cui corpo è libero da tensioni croniche. I suoi movimenti sono pieni di grazia perché sono spontanei e pur sempre pienamente coordinati ed efficaci.[4]

Non si è molto lontani dalla descrizione aristotelica della postura dell’uomo “fiero”:

  Si ritiene che il passo dell’uomo fiero sia lento, la voce profonda, il modo di parlare pacato, dato che chi si prende a cuore poche cose non si agita, né è nervoso chi nulla stima essere grande; la voce stridula e il passo affrettato derivano da quelle cose.[5]

Come l’uomo in armonia con se stesso, con gli altri e con l’ambiente, l’uomo fiero non è agitato, i suoi movimenti non sono nervosi, il suo passo non è affrettato. L’uomo fiero esprime grazia, perché ha trovato l’equilibrio tra pensiero e azione o, per usare le parole dei Lowen, la «vibrazione ritmica del corpo che entra in comunicazione con l’ambiente e con chi vive in tale ambiente»[6].

Se le risonanze con alcune tesi di Aristotele sono abbastanza evidenti, con Spinoza si può reperire una piena corrispondenza. Per Spinoza ogni essere vivente aspira a dispiegare la propria potenza di esistere. La letizia coincide con «la passione per cui la Mente passa a una maggiore perfezione», mentre la tristezza è «la passione per la quale essa passa a una minore perfezione». Se riferita ad un tempo al corpo e alla mente la letizia può essere chiamata «eccitazione piacevole» e la tristezza «dolore o malinconia»[7].

In Spinoza come in Lowen il piacere e il dolore sono stati psicofisici connessi rispettivamente all’aumento e alla diminuzione del nostro sé. Si prova piacere quando le energie vitali si espandono, dolore quando si contraggono. I due lessici sembrano sovrapporsi, e la psicologia di Lowen risulta quasi una traduzione bioenergetica dell’Etica di Spinoza.

In entrambi i pensatori l’arte di vivere consiste nella capacità di saper comporre il corpo e la mente con tutte quelle cose che riescono ad accrescere la potenza di esistere. A tal fine occorre raggiungere una consapevolezza di sé che l’uomo comune in genere non possiede. Per riuscire o almeno tendere verso un “approccio creativo alla vita” (il sottotitolo dell’opera di Lowen) è necessario intraprendere un lungo percorso, operare una radicale conversione dello sguardo. Lowen insiste sull’importanza di uscire dall’egotismo.

Una persona senza anima è un egotista. Vede il mondo solo in rapporto a se stesso. […] I suoi interessi rispecchiano i suoi bisogni egoici. Se scia, per esempio, lo fa soltanto per provare le sue abilità e per impressionare gli altri con la sua bravura. […] L’egotista pensa di essere una persona creativa perché si esprime costantemente. Ciò che in realtà esprime è l’immagine di se stesso, un’immagine priva di bellezza, di grazia o di verità. Queste qualità appartengono all’individuo che è in contatto con le forze più profonde della vita, le forze che creano e mantengono la vita […]. La verità, la bellezza e la grazia definiscono il rapporto tra l’organismo e il suo ambiente. Esprimono il fatto che tale rapporto è armonioso, produce piacere ed è orientato verso il godimento della vita.[8]

Non è un azzardo sostenere che la bioenergetica di Lowen è un’ascetica nel senso antico del termine. Anche solo rimanendo nei confini del Piacere colpisce subito come Lowen non sia lontano dalle “tecnologie del sé”[9] di Michel Foucault o dagli “esercizi spirituali”[10] di Pierre Hadot. Lowen chiede ai pazienti e ai lettori di cambiare l’“approccio” nei confronti della vita, di passare da un atteggiamento “egotico” a uno espressivo. Indica il complesso e spesso doloroso cammino che conduce da un io astratto, vuoto e pieno di sé, a un io integrato. Guida sulla strada che va dall’amor proprio, o amore smisurato di sé, all’amore naturale di sé, l’unico vero amore in grado di consegnarci a noi stessi e a una vita felice.

La riflessione di Lowen costituisce insomma un’autentica eudemonia, e, come tale, contempla una serie di esercizi: da quelli fisici e respiratori a quelli più propriamente spirituali, da quelli individuali a quelli da svolgere insieme allo psicoterapeuta o in gruppo.

Alla luce di queste considerazioni diventa chiaro come l’accostamento di Lowen a una certa tradizione filosofica non abbia nulla di estemporaneo. Non si tratta affatto di un ingenuo confronto tra ambiti disciplinari diversi, magari allo scopo di sminuire l’originalità del pensiero di Lowen.

L’intento semmai è opposto. La deterritorializzazione filosofica serve a dare risalto al valore “pratico” (cioè, per la prassi, per l’agire) ed etico della psicologia di Lowen.

In un’epoca come la nostra in cui molti orientamenti della psicologia e della psichiatria ragionano nell’orizzonte del “successo”, dell’“efficacia del trattamento”, del “risultato quantificabile”, la bioenergetica di Lowen ha il “coraggio di dire la verità”[11]: essere in salute non è uno stato, ma un processo, che richiede uno sforzo costante in cui vanno coinvolte tutte le nostre “energie spirituali”.

L’espressione è volutamente bergsoniana, perché ne L’energia spirituale Bergson definisce l’azione libera e creatrice con parole sorprendentemente affini all’orizzonte concettuale che elaborerà Lowen:

 L’azione volontaria si ripercuote su colui che la vuole, modifica, in una certa misura, il carattere della persona da cui emana, e compie, con una specie di miracolo, questa creazione di sé da sé, che ha tutta l’aria di essere l’oggetto stesso della vita umana.[12]

Nell’approccio creativo alla vita le azioni emanano dall’intera persona, sono come frutti maturi che cadono da un albero. L’azione creatrice è fonte di piacere e di gioia perché in essa l’individuo trova la sua piena espressione.

La bioenergetica di Lowen è in conclusione una psicologia che guarda alla psiche in una prospettiva a un tempo antica e moderna. La psiche non è solo la mente pensata come un insieme di operazioni da comprendere, ma anche pneuma, anima che va curata, elevata e integrata nel rapporto con sé, con gli altri e con il mondo.

Bibliografia

Aristotele, Etica nicomachea, tr. it. C. Natali, in Id., Opere complete, Roma-Bari, Laterza, 2019.

Bergson H., L’âme et le corps, in Id., L’énergie spirituelle, a cura di E. During et alii, Paris, Puf, 2009.

Foucault M., Tecnologie del sé, tr. it. S. Marchignoli, Torino, Boringhieri, 20052.

Id., Il coraggio di dire la verità, tr. M. Galzigna, Milano, Feltrinelli, 2011.

Hadot P., Esercizi spirituali e filosofia antica, a cura di A. I. Davidson, Torino, Einaudi, 2005.

Lowen A., Il piacere. Un approccio creativo alla vita, tr. it. S. Trippodo, Roma, Astrolabio, 1984.

Spinoza B., Etica e Trattato teologico politico, a cura di R. Cantoni e F. Fergnani, Torino, Utet, 2013.


[1] A. Lowen, Il piacere. Un approccio creativo alla vita, tr. it. S. Trippodo, Roma, Astrolabio, 1984, p. 20.

[2] Ivi, p. 25.

[3] Aristotele, Etica nicomachea, 1099 a, tr. it. C. Natali, in Id., Opere complete, Roma-Bari, Laterza, 2019, ed. digitale.

[4] A. Lowen, op. cit., p. 44.

[5] Aristotele, Etica nicomachea, 1125 a, op. cit., ed. digitale.

[6] A. Lowen, op. cit., p. 76.

[7] B. Spinoza, Etica, proposizione XI, in Id., Etica e Trattato teologico politico, a cura di R. Cantoni e F. Fergnani, Torino, Utet, 2013, ed. digitale.

[8] A. Lowen, op. cit., p. 100.

[9] Cfr. M. Foucault, Tecnologie del sé, tr. it. S. Marchignoli, Torino, Boringhieri, 20052.

[10] Cfr. P. Hadot, Esercizi spirituali e filosofia antica, a cura di A. I. Davidson, Torino, Einaudi, 2005.

[11] L’espressione è ripresa da un celebre corso di Michel Foucault (Il coraggio della verità, tr. M. Galzigna, Milano, Feltrinelli, 2011). Lo psicologo che pratica un approccio bioenergetico esercita la “parresia” nei confronti dei suoi pazienti. Non offre “soluzioni facili” ai problemi, perché chiede un cambiamento radicale nel modo di relazionarsi all’esistenza.

[12] H. Bergson, L’âme et le corps, in Id., L’énergie spirituelle, a cura di E. During et alii, Paris, Puf, 2009, p. 31. Tr. it. a mia cura.

Importance des espaces internes, welfare et mondialisation

ABSTRACT

In his speech on 20 January 2024, Pope Francis dwells on inland areas, which are the most fragile in Italy, but also the richest in natural resources and community spirit. We must start from these links to support these fragile areas, where the state does not arrive. His proposal of community welfare is parallel to that of generative welfare, by the Italian economist Leonardo Becchetti. Both bring the human back to the centre, against the consumerist drift of mass society.

Keywords: generative welfare, community welfare, Pope Francis, inland areas

L’importance des zones internes selon le pape François

Le 20 janvier 2024, le Pape François a adressé un important Discours aux membres de l’Asmel, l’Association pour la subsidiarité et la modernisation des collectivités locales [1]. Le Saint-Père y aborde le thème de la fragilité et en même temps de la richesse des zones intérieures, dans lequel il renouvelle son intérêt pour la durabilité environnementale, dans le sillage de ce qu’il avait déjà fait dans l’encyclique Laudato sì de 2015.[2]. Les thèmes de la relation et de la participation à la préservation de la nature, de la technoscience bien orientée, de l’utilisation raisonnée des ressources, de la responsabilité collective, déjà présents dans cette dernière encyclique, reviennent dans le Discours, dans le but de réaffirmer que la recherche du profit et la foi dans la technologie ne peuvent oublier ou piétiner l’humain. La nouvelle perspective présentée dans ce discours est, cette fois, centrée sur la richesse inestimable que représentent les zones dites “intérieures”, souvent mal desservies par les services les plus importants et destinées à la désertification.

Le pape François s’attarde longuement sur la “culture du déchet” :

Les petites communes, notamment celles qui font partie des zones dites intérieures, et qui sont la plupart, sont souvent négligées et se retrouvent dans une condition marginale. Les citoyens qui y vivent, une partie importante de la population, souffrent d’importantes lacunes en termes d’opportunités, et cela reste une source d’inégalité.

À l’origine de ces écarts, il y a le fait qu’il est trop coûteux d’offrir à ces territoires la même dotation en ressources qu’aux autres régions du pays. Nous voyons ici un exemple concret de la culture du gaspillage : “tout ce qui ne sert pas le profit est jeté” [1]. Un cercle vicieux est ainsi enclenché : le manque d’opportunités pousse souvent la partie la plus entreprenante de la population à partir, ce qui rend les territoires marginaux de moins en moins intéressants, de plus en plus abandonnés à eux-mêmes. Ceux qui restent sont principalement les personnes âgées et celles qui ont le plus de mal à trouver des alternatives. Par conséquent, le besoin d’État-providence augmente dans ces territoires, alors que les ressources pour y répondre diminuent.

Ce manque chronique de services est contrebalancé par la présence de richesses environnementales extraordinaires. Cependant, le dépeuplement constant de ces zones empêche la prise en charge du territoire et les rend fragiles, en proie à une instabilité qui provoque toutes sortes de calamités et d’urgences : inondations, pluies torrentielles, sécheresses, incendies, tempêtes de vent :

En regardant ces territoires, nous avons la confirmation du fait qu’écouter le cri de la terre signifie écouter le cri des pauvres et des exclus, et vice versa : dans la fragilité des personnes et de l’environnement, nous reconnaissons que tout est lié – tout est lié ! -que la recherche de solutions exige de lire ensemble des phénomènes souvent considérés comme séparés. Tout est lié.

Prendre soin des territoires des zones intérieures est, selon le Pontife, un grand défi de notre temps, pour ces raisons :

Il y a quelque chose de plus grand en jeu que la qualité de vie et le soin des territoires d’où vous venez, qui méritent également tous les efforts. Depuis toujours, et encore aujourd’hui, ce sont les zones marginales qui peuvent devenir des laboratoires d’innovation sociale, en partant d’une perspective – celle des marges – qui nous permet de voir différemment les dynamiques de la société, en découvrant des opportunités là où d’autres ne voient que des contraintes, ou des ressources dans ce que d’autres considèrent comme des déchets. Les pratiques sociales innovantes, qui redécouvrent des formes de mutualité et de réciprocité et reconfigurent la relation avec l’environnement dans la clé du soin – des nouvelles formes d’agriculture aux expériences de bien-être communautaire – demandent à être reconnues et soutenues, afin de nourrir un paradigme alternatif au bénéfice de tous.

À une époque qui, malgré les progrès technologiques, enregistre des abîmes de pauvreté et des inégalités effrayantes, le Pape François nous rappelle la valeur de l’entraide. Il nous dit qu’il existe un espace dans lequel les personnes et les associations se substituent à l’État pour soutenir les zones fragiles. Dans ces zones marginales, il arrive souvent que l’État n’arrive pas. Le pape propose quelques pistes pour soigner et récupérer ces zones marginales : 1) la recherche de nouveaux rapports entre le public et le privé, les lieux de participation pour un renouveau de la démocratie ; 2) l’intelligence artificielle utilisée dans une logique de soin et non de destruction ; 3) avoir des enfants, ce qui banalement permet de survivre.

  1. Retour de la faim et de la pauvreté

Le discours du Pape François sur les zones intérieures est l’occasion d’insister sur l’importance de régénérer ces lieux destinés au dépeuplement à travers de bonnes actions et pratiques communautaires qui, d’une part, comblent le manque de services souvent essentiels et, d’autre part, assurent la cohésion de communautés de plus en plus fragiles vivant dans des zones encore durables et à rythme lent.

Notre époque est paradoxale, car à tous les niveaux nous assistons à la recherche d’une consommation de plus en plus aliénante, comme la drogue et les jeux de hasard. Si le capitalisme en tant qu’organisation de la société et de l’économie s’est instauré avec la Révolution française (1789-1799), la société, à partir du XXe siècle, a été dominée par le consumérisme et les problèmes qui y sont liés : exploitation, manque de protection, bas salaires, marchandisation des relations humaines.

Le paradoxe de notre époque est que la croissance économique, interprétée en termes de simple augmentation du PIB, a produit de la pauvreté au lieu de l’éradiquer. Les exemples sont nombreux et indiquent que notre rapport à la fortune, au concept de richesse, à ce que nous entendons par économie, doit être complètement revu.

La mondialisation a accru les inégalités et l’exemple le plus clair est celui des États-Unis, où l’extrême pauvreté n’a cessé de croître depuis plus de quarante ans et où 21 % des enfants sont sans abri[3].

Le rapport d’Oxfam 2023, intitulé La disuguaglianza non conosce crisi (L’inégalité ne connaît pas la crise), note que :

Au cours de la période 2020-2021, les 1 % les plus riches de la planète ont bénéficié de près de deux tiers de l’augmentation de la richesse nette globale, soit six fois plus que la part de l’augmentation qui a affecté les impôts sur la fortune des 7 milliards de personnes qui constituent les 90 % les plus pauvres de l’humanité[4].

Au chapitre 1 du rapport, nous lisons :

Le monde est confronté à une période sans précédent caractérisée par de multiples crises. Des dizaines de millions de personnes supplémentaires souffrent de la faim. Des centaines de millions d’autres sont accablés par des augmentations extraordinaires des coûts des biens de première nécessité ou du chauffage de leurs maisons. La crise climatique paralyse les économies et des phénomènes tels que les sécheresses, les cyclones et les inondations forcent les gens à quitter leur foyer. Des millions de personnes souffrent encore des conséquences persistantes du COVID-19, qui a déjà causé 20 millions de morts. Cependant, il ne manque pas ceux qui, face à de telles crises multiples, ont vu leurs conditions économiques se consolider : les individus les plus riches sont devenus incroyablement plus riches et les profits des grandes entreprises ont atteint des niveaux records, provoquant une explosion des inégalités[5].

L’extrême pauvreté, qui, comme le souligne Oxfam, était un phénomène en diminution constante au cours des 25 dernières années, a recommencé à augmenter, parallèlement à l’extrême richesse, grâce à la pandémie et à la guerre :

Les goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement en raison de la pandémie et de la guerre en Ukraine, le comportement prédateur des grandes entreprises et le changement climatique sont tous des facteurs qui ont contribué à pousser les prix de l’alimentation et de l’énergie à des sommets historiques, avec une hausse des prix des denrées alimentaires qui devrait atteindre 18% en 2022 par rapport à 2021 (+59% en ce qui concerne les prix de l’énergie).

On estime qu’entre 702 et 828 millions de personnes ont souffert de la faim en 2021, soit près d’un dixième de la population mondiale. Dans chaque région, la prévalence de l’insécurité alimentaire est plus élevée chez les femmes que chez les hommes. En 2020, il a été estimé que près de 60% des personnes souffrant de la faim sont des femmes et des filles, et depuis lors, l’écart entre les sexes n’a fait que croître.[6]

Thomas Piketty, dans son célèbre essai intitulé Le capital au XXIe siècle[7], qui analyse le développement du capitalisme entre le XIXe et le XXe siècle, explique que l’évolution des inégalités de revenus suit une courbe en U et que les niveaux d’inégalité atteints au début du XXIe siècle sont les suivants.

Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie, peut bien affirmer : «La mondialisation, quel que soit le genre et le nombre de ses vertus pour stimuler la croissance, a presque certainement accru les inégalités»[8].

La mondialisation, c’est-à-dire “l’élimination des obstacles au libre-échange et l’intégration accrue entre les économies nationales”, aurait pu être une force capable d’enrichir n’importe qui de la manière, “particulièrement les pauvres”, mais selon Stiglitz, « Il est nécessaire de repenser soigneusement la façon dont elle a été gérée »[9].

Le sociologue italien Luca Ricolfi a écrit le livre La società signorile di massa (Edizioni La Nave di Teseo, 2019), dans lequel il dessine un tableau peu réconfortant de la situation italienne actuelle. L’auteur affirme que notre pays est le seul exemple au monde d’une société qui consomme plus qu’elle ne produit, jouissant d’un mode de vie seigneurial précisément dans une phase de stagnation économique, civile et culturelle. Car les revenus qui permettent de maintenir un style de vie élevé ne proviennent pas directement du travail. À tel point que Ricolfi commence son livre en citant Ralf Dahrendorf : « La société centrée sur le travail est morte, mais nous ne savons pas comment l’enterrer ».

  • Société seigneuriale de masse

Ce type de société seigneuriale, hédoniste et consumériste, vit aujourd’hui de rente, c’est-à-dire des ressources accumulées par des gens actifs. Ce n’est pas un hasard si les pensions représentent le principal amortisseur social au sein des familles, dont huit millions sont à l’abri du risque de pauvreté. À cela s’ajoutent les récentes politiques de subsistance qui ne nourrissent pas le travail, ne produisent pas de valeur, mais invitent à s’asseoir confortablement sur le canapé à la maison en attendant la subvention de l’État. Dans ce scénario de négligence coupable, on assiste, depuis de nombreuses années, au démantèlement du système scolaire, avec l’abaissement des niveaux d’instruction. Des poches de pauvreté se forment pour y placer une partie de la population étrangère résidant sur notre territoire. Le sens de la mémoire et de ce qui a été construit par les générations précédentes est en train de disparaître.

Ce processus que Ricolfi appelle d'”argentinisation lente” de l’Italie, sera fatal précisément parce que la plupart ne se secouent pas de leur inertie et vivent en consommant, dans une société, disons, de plus en plus fatiguée et en colère.

La vision de Ricolfi synthétise des éléments épars, mais ne propose pas de pistes pour le bonheur individuel et collectif.

Il semble que rien ne nous attende, sinon l’abîme. Et en effet, le rapport d’Oxfam photographie une réalité impitoyable, où la faim et la pauvreté ont explosé après un quart de siècle de parfaite stagnation.

3. L’innovation et l’espoir sont des voies viables

Si le pape François nous invite à prendre soin de l’environnement et des relations humaines et à nous soucier de l’avenir des territoires intérieurs, moins touchés par la pression exercée sur les grands centres, il est également possible d’analyser la période historique actuelle à travers d’autres types de lectures qui , tout comme le Discours du Pape, nous montrent des chemins possibles d’espérance et d’innovation comme viables. Par conséquent, l’analyse de Ricolfi, impitoyable et véridique, doit nécessairement être combinée avec ces ferments sociaux qui, bien que très souvent bien cachés, imprègnent notre société, nous disant qu’il existe un pays meilleur que celui décrit jusqu’à présent. En effet, dans les plis de la société de masse mondaine, il existe une société civile engagée, solidaire, générative. Cette société silencieuse mais existante et même bien enracinée, dont Ricolfi ne parle pas, offre des alternatives quotidiennes à la pauvreté, à la marginalisation, à la perte des valeurs et de la mémoire. Elle coïncide avec les centaines d’associations de coopération et de volontariat qui opèrent au niveau national et international, ainsi qu’avec les nombreuses expériences d’innovation sociale et économique qui ne font souvent même pas la une des journaux, mais qui existent bel et bien.

Il faudrait ici beaucoup de temps pour reconstituer, même au moyen de références rapides, le travail de nombreuses petites et grandes associations et communautés laïques et religieuses qui opèrent dans le tissu social, souvent en contact avec des réalités difficiles et oubliées: de San Patrignano à Libera, des Urgences à Sant’ Egidio, etc. etc.[10]

La société seigneuriale de masse, telle que décrite par Ricolfi, sert à nous faire prendre acte de l’abîme dans lequel nous sommes tombés : celui d’une société sans culture, intéressée par le profit facile et la consommation sans but, manquant d’humanité et d’empathie.

Dans ce scénario, dépourvu de bonheur, de sens, de bien-être[11], un autre espace très intéressant de créativité et d’espoir qui s’est ouvert aujourd’hui est représenté par le welfare génératif, qui vise précisément le bonheur et le bien-être..

Le critère de ce nouveau type de welfare est d’investir en soi et de créer des talents disponibles pour la communauté. Si notre critère de bonheur est de faire quelque chose dans le seul but d’obtenir un plus grand gain, nous sommes alors voués à un malheur perpétuel. Alors que le discours change si nous nous mettons du côté de la générativité, de la création de valeur sociale, de la valeur ajoutée pour le territoire. Être génératif suppose de comprendre le contexte dans lequel on vit, d’avoir une vision, d’élaborer des réponses, de construire de bonnes pratiques, de les communiquer et d’interagir avec les décideurs (policymakers).

Mais quelles sont les “maladies” actuelles du monde dans lequel nous vivons ? Et comment, par conséquent, est-il possible d’établir des critères de bonheur ?

Concernant le premier point, étant donné que le système socio-économique est aujourd’hui très instable, quatre grands problèmes peuvent être identifiés : le travail, l’environnement, le climat et la migration, la recherche du sens de la vie.

  • Le travail place le profit de l’entreprise au centre, en oubliant souvent le travailleur, dont la santé devrait au contraire être préservée. Il pose des problèmes liés au sous-coût qui permet aujourd’hui d’acheter une vaste gamme de produits et qui cache le problème du sous-salaire. À cet égard, le pape François a réitéré à plusieurs reprises l’idée selon laquelle nous devons établir une « économie du bonheur », qui ramène l’homme au centre.
  • Le problème de l’environnement est fortement ressenti par les jeunes générations d’aujourd’hui. La pollution et le réchauffement de la planète font partie des questions les plus importantes pour les gouvernements des différents pays. En Italie, 219 personnes meurent chaque année à cause de la pollution[12].
  • Le climat et les migrations sont des phénomènes liés. Il suffit de penser qu’en raison du réchauffement, les migrations se chevauchent depuis plusieurs années, même si elles n’ont pas encore eu leur place dans le débat public. Selon la Banque mondiale, d’ici 2050, 143 millions de personnes vivant actuellement en Afrique subsaharienne, en Amérique latine et en Asie du Sud pourraient se déplacer de force[13].
  • Enfin, il y a le problème de la difficulté des relations, de la pauvreté en temps, de l’incertitude économique et de la pauvreté émotionnelle. Le sens de la vie que la société semble rechercher désespérément, le niveau élevé d’insoutenabilité d’une vie qui n’est pas soutenue par un sens, produisent des résultats effrayants : aux États-Unis, le nombre de personnes qui mettent fin à leurs jours augmente, et il ne s’agit pas seulement d’un problème de santé mentale. Les problèmes relationnels arrivent en première position (42 %)[14].

Quels sont donc les facteurs qui influencent le bonheur d’un individu ?

Pour tenter de les identifier, nous nous référons au rapport mondial sur le bonheur (World Happiness Report) publié par Jeffrey Sachs, Richard Layard et John Helliwell en 2016. Il identifie six variables qui expliquent 75 % des différences de niveaux de satisfaction à l’égard de la vie. La recherche a été menée sur des centaines de personnes issues de centaines de pays différents à travers le monde. Dans l’ordre, les facteurs sont : le revenu, la santé, la liberté d’initiative, l’absence de corruption, les relations et la gratuité.

Ces six variables permettent de construire une théorie politique de la générativité9. La générativité signifie que le bonheur est l’effet d’une vie bien dépensée, c’est-à-dire la capacité d’être utile aux autres.

La générativité biologique est la capacité de mettre au monde des enfants.

La générativité parentale consiste à éduquer les enfants.

La générativité sociale consiste à créer de la valeur sociale.

La générosité politique dans la recherche de solutions pour le pays.

La générativité civile consiste à créer de la valeur économique.

La générativité culturelle en étant producteurs de culture.

La générativité spirituelle pour aider le prochain dans la recherche de sens et de connexion avec l’Absolu.

Le welfare génératif, comme le dit l’économiste Leonardo Becchetti, consiste donc en la capacité de s’impliquer et d’agir pour créer de la valeur. La philosophe américaine Martha Nussbaum, quant à elle, parle des capabilities comme de l’ensemble des potentialités que l’individu doit développer pour jouir d’une vie pleine et entière[15].

  • L’épanouissement des capacités

Le point de vue de Nussbaum est extrêmement intéressant et mérite qu’on s’y attarde. La philosophe américaine part de la question suivante : quand une vie vaut-elle la peine d’être vécue ?

Cette question ne s’applique pas seulement à Socrate et aux Athéniens. Elle s’applique également à l’homme contemporain. Nussbaum et Amartya Sen reformulent les droits de l’homme dans le cadre d’une conception générale d’une vie qui vaut la peine d’être vécue et qui n’est pas une vie uniquement soumise aux lois du marché. Dans Creating Capabilities: The Human Development Approach[16], la question est posée en termes philosophiques. Un homme vit vraiment pleinement s’il peut utiliser ses sens et son imagination, s’il peut penser et cultiver une éducation adéquate, s’il peut se faire une idée de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, ressentir, faire des choix humains et professionnels, éthiques et politiques.

Cette construction d’une identité individuelle et d’un projet de vie passe par la problématisation de l’existence, l’expérience de la nouveauté, même, comme le dit la philosophe, au prix d’un voyage solitaire en tant que citoyen du monde, le remaniement de la mémoire, l’action sur le présent par le remaniement du passé. L’image utilisée par Martha Nussbaum Nussbaum pour indiquer ce processus d’affirmation de son plein potentiel est : la floraison (présente dès les premières pages du remarquable ouvrage The Fragility of Goodness. Luck and Ethics in Greek Tragedy and Philosophy[17], qui l’a fait connaître aux universitaires et intellectuels du monde entier depuis les années 1980).

Sortant du simple langage économique, il est alors possible de revendiquer une notion d’utilité en suivant différents critères pour que la vie vaille la peine d’être vécue. On se rend alors compte que tout ce qui sert à cela est utile, tout ce qui donne de la valeur à notre vie et la rend digne d’être vécue. En ce sens, l’exercice de la philosophie est également utile, en tant que questionnement continu sur le sens de l’existence, réflexion sur soi, réflexion sur les problèmes de justice, de société, de bien public. Il est également utile d’éprouver des sentiments, car ils contribuent à notre bien-être. Il est utile d’apprécier la beauté d’une œuvre d’art. Il est utile d’utiliser nos possibilités sensorielles et motrices pour nous orienter dans ce monde et l’explorer.

Se placer dans cette perspective, c’est remettre au centre la valeur de l’être humain et sa capacité à entrer en empathie générative avec son prochain.

À cet égard, il est utile de rappeler qu’en 1968, Robert Kennedy, alors président des États-Unis, a prononcé un discours important à l’University of Kansas sur la capacité limitée du produit intérieur brut (PIB), en tant qu’indicateur, à représenter l’état de bien-être d’une nation. Le PIB nous indique la quantité produite, mais il ne nous dit pas si ce qui est produit est consommé par nécessité ou pour répondre aux besoins induits par le système des médias de masse. Kennedy nous invite donc à revoir notre échelle de valeurs et même les hommes d’État doivent changer de perspective et d’outils pour évaluer ce que l’on entend par richesse et bien-être d’un pays. Dans un passage de son discours, Kennedy déclare :

Avec trop d’insistance et depuis trop longtemps, nous semblons avoir abandonné l’excellence personnelle et les valeurs communautaires au profit de la simple accumulation de biens matériels. Notre PIB dépasse les 800 milliards de dollars par an, mais ce PIB – si nous jugeons les États-Unis à l’aune de ce chiffre – comprend également la pollution de l’air, la publicité pour les cigarettes et les ambulances qui débarrassent nos autoroutes du carnage des week-ends. Le PIB inclut dans le projet de loi des serrures spéciales pour nos portes d’entrée et des prisons pour ceux qui tentent de les forcer. Il inclut le fusil de Whitman et le couteau de Speck, ainsi que les programmes télévisés qui glorifient la violence afin de vendre des jouets à nos enfants. Il croît avec la production de napalm, de missiles et d’ogives nucléaires et n’augmente que lorsque les bidonvilles populaires sont reconstruits sur leurs cendres. Il comprend des véhicules blindés de police pour faire face aux émeutes urbaines. Le PIB ne prend pas en compte la santé de nos familles, la qualité de leur éducation ou la joie de leurs moments de loisirs. Il ne comprend pas la beauté de notre poésie, la solidité des valeurs familiales ni l’intelligence de notre débat. Le PIB ne mesure ni notre esprit, ni notre courage, ni notre sagesse, ni nos connaissances, ni notre compassion, ni notre dévouement envers notre pays. En termes simples, il mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut vraiment la peine d’être vécue. Cela peut tout nous dire sur l’Amérique, mais pas si nous pouvons être fiers d’être Américains. [18].

  • Conclusions

Une société malheureuse comme celle dans laquelle nous vivons, où les signes de méfiance et de fatigue sont perceptibles partout, est une société repliée sur elle-même, incapable de créativité, de gratuité, intéressée uniquement par la consommation rapide et vide de sens, précisément pour combler cette quête de sens et cette faim de sens qu’elle déverse dans la pratique de l’achat boulimique et compulsif de produits de toutes sortes. C’est aussi une société en proie aux peurs liées aux “urgences” réelles ou supposées qu’un appareil médiatique massif nous propage continuellement et systématiquement (guerre, pandémie, crise climatique), ainsi qu’aux manipulations psychologiques des “influenceurs” qui ont l’art d’insinuer leur travail là où il y a un manque de réflexion. Partout où les masses manquent d’autonomie de pensée et de modèles sains, elles ont besoin d’être guidées dans le choix des choses les plus élémentaires de la vie, des vêtements à la nourriture.

L’homme incapable de relations de qualité est socialement nuisible. Il est méfiant et cynique, prêt à dévorer l’autre, comme dans la société de Hobbes, où le fait d’être un “loup pour l’autre homme” met tout le monde dans l’attente que le Léviathan soulage l’être humain de la terreur de vivre. Il faut alors changer de perspective, comme dans la société conçue par Hume, où le don remplace le vol et où il est clairement dit que les récoltes sont perdues lorsque la confiance mutuelle fait défaut dans la société. Le don est libérateur, il est fortement générateur, il met en condition d’échange et donc de réciprocité. Les solutions coopératives génèrent de la super-additivité. Dans la société, comme dans les entreprises à forte éthique, lorsque l’accent est mis sur les relations, plus de profit est généré. C’est une loi économique. Le nouveau paradigme de l’économie civile devrait donc inclure l’État, le marché, la citoyenneté active et l’entreprise responsable.

En Italie, il existe déjà de nombreuses initiatives éthiques visant l’innovation, la coopération, la solidarité et la lutte contre la marginalisation. L’une d’entre elles remonte à 2020 : le 24 janvier de cette année-là, les signataires du Manifeste d’Assise pour une économie à taille humaine contre la crise climatique se sont réunis pour la première fois[19]. Dans le sillage de l’encyclique Laudato sì du Pape François, le Manifeste promu par le Symbola et déjà signé par plus de deux mille personnes, est un nouvel exemple d’une société active et participative qui ne veut pas seulement s’installer dans le consumérisme effréné de la société seigneuriale de masse, mais qui s’engage à chercher des solutions pour un monde plus juste et plus durable..

Le dernier Discours important du Pape François, en revanche, nous fait comprendre que l’Église est engagée dans les questions de protection de l’environnement, non pas par une sorte de mode “verte” à suivre à tout prix en ces temps d’environnementalisme à tout prix, mais pour récupérer, en leur sein, ces actions communautaires nécessaires qui peuvent générer de la cohésion, être propices au bien-être dans les communautés dans lesquelles elles sont mises en œuvre, et récupérer ces actions de soin et d’attention qui ne peuvent être qu’en faveur de la vie.


[1] Le discours dans son intégralité est ici : http://www.vatican.va/content/francesco/it/speeches/2024/january/documents/20240120-asmel.html.

[2] Disponible sur : www.vatican.va/content/francesco/it/encyclicals/documents/papa-francesco_20150524_enciclica-laudato-si.html. Au point 78, nous lisons : « Le retour à la nature ne peut se faire au détriment de la liberté et de la responsabilité de l’être humain, qui fait partie du monde avec pour tâche de cultiver ses propres capacités pour le protéger et développer son potentiel. »

[3]  Rapport 2018 des Nations unies sur l’extrême pauvreté aux États-Unis. Ce rapport fait état de 40 millions d’Américains vivant dans la pauvreté.

[4] www.oxfamitalia.org/wp-content/uploads/2023/01/Report-OXFAM_La-disuguaglianza-non-conosce-crisi_final.pdf, p. 4.

[5] Ib., p. 4.

[6] Ib., p. 9.

[7] Publié en France par les Éditions du Seuil et réimprimé en Italie par Bompiani en 2016. Thomas Piketty est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et professeur à l’École d’économie de Paris.

[8] Stiglitz a travaillé à la Banque mondiale de 1997 à 2000. Il a démissionné en raison de désaccords avec la manière dont les institutions économiques internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international et Organisation mondiale du commerce) traitaient les questions cruciales liées à la mondialisation. Dans son livre “Globalisation and its Opponents”, il explique en détail les raisons de ce désaccord, donnant ainsi du crédit aux accusations portées contre ces institutions par le mouvement “no-global” et un certain nombre de pays du monde sous-développé.

[9] Paragraphe IX du livre susmentionné.

[10] La liste des principales associations humanitaires bénévoles est disponible à l’adresse suivante : www.papafrancesco.net/elenco-delle-principali-associazioni-volonariato-sociale-umanitario/.

La liste complète est disponible ici : https://italianonprofit.it/.

[11] L’Italie occupe la 50ème place en termes de niveau de bonheur, suivie par la Grèce. C’est derrière le Nicaragua et l’Ouzbékistan. Le dossier a été réalisé par le Sustainable Development Solutions Network.

Source : http://www.ilfattoquotidiano.it/2016/03/16/classifica-felicita-2016-litalia-e-50-al-mondo-dietro-nicaragua-e-uzbekistan/2553817/.

[12] Données de l’OMS. Pour en savoir plus:www.agensir.it/quotidiano/2019/6/4/inquinamento-ogni-anno-80mila-morti-per-lo-smog-costa-mins-ambiente-vogliamo-fare-da-battistrada-anche-per-i-paesi-europei-in-procedura-dinfrazione/

[13] Voir https://openmigration.org/analisi/migranti-e-cambiamenti-climatici-chi-migra-perche-e-come-intervenire-per-porvi-rimedio/

[14] Le rapport Vital Sings, publié en 2018 par l’agence fédérale de contrôle et de prévention des maladies, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), montre que 45 000 personnes ont mis fin à leurs jours aux États-Unis en 2016, et que le taux de suicide a augmenté de 30 % entre 1999 et 2016, contre 25,4 % au niveau national. Le chiffre le plus important se situe dans les États où les personnes vivent isolées (Vermont (48,6 %), New Hampshire (48,3 %), Utah (46,5 %), Kansas (45 %), Dakota du Sud (44,5 %), Idaho (43,2 %) et Minnesota (40,6 %).  

Voir à cet égard Neuroscettici, de Leonardo Becchetti, Rizzoli 2019.

[15] Voir Martha Craven Nussbaum, Creare capacità. Liberarsi dalla dittatura del Pil, Bologne, il Mulino, 2012, pp. 216, traduction de Rinaldo Falcioni. Édition originale : Creating Capabilities. The Human Development Approach, Cambridge (Mass.)-London, Harvard University Press, 2011.

[16] Publié en Italie par Il Mulino, Bologne 2014.

[17] Traduit en Italie sous le titre La fragilità del bene. Fortuna ed etica nella tragedia e nella filosofia greca, Il Mulino, Bologne 2011.

[18] L’intégralité du discours est disponible sur le web.

[19] Infos sur le web site : http://www.symbola.net/manifesto/.

La tyrannie selon Blaise Pascal

Keywords: Bien – Devoir – Force – Injustice – Mérite – Tyrannie.

Abstract: Living at the height of absolutism, Pascal investigates with lucidity and acumen all the characteristics of tyrannical power, delving into the depths of the human heart and its hidden motives. He concludes that the desire for domination affects all men indifferently and has its root in concupiscence and self-love. He defines the characteristics of tyranny in the Thoughts and teaches how to handle it carefully in the Trois discours sur la condition des grands.

Tout l’éclat des grandeurs n’a point de lustre pour les gens qui sont dans les recherches de l’esprit.
Blaise Pascal, Fragment Preuves de Jésus-Christ n°12

Structure et sens d’un aphorisme

Le concept de tyrannie est l’un des plus débattus dans la théorie et la pratique politiques. La tyrannie est également une réalité fréquemment observable dans la vie quotidienne, à un niveau empirique. En tant que telle, elle génère des émotions politiques négatives : irritabilité, dégoût, anxiété, peur, colère.

Pascal explore trois caractéristiques de la tyrannie. La première est celle relative au désir de domination totale. La deuxième est liée à un autre type de désir, celui d’être aimé pour sa force ou craint pour sa beauté. La troisième caractéristique est le refus de reconnaître les mérites d’autrui.

La Tyrannie consiste au désir de domination universel et hors de son ordre.
Diverses chambres de forts, de beaux, de bons esprits, de pieux, dont chacun règne chez soi, non ailleurs. Et quelquefois ils se rencontrent et le fort et le beau se battent sottement à qui sera le maître l’un de l’autre, car leur maîtrise est de divers genre. Ils ne s’entendent pas. Et leur faute est de vouloir régner partout. Rien ne le peut, non pas même la force : elle ne fait rien au royaume des savants, elle n’est maîtresse que des actions extérieures.
Tyrannie.
La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites, devoir d’amour à l’agrément, devoir de crainte à la force, devoir de créance à la science.
On doit rendre ces devoirs-là, on est injuste de les refuser, et injuste d’en demander d’autres.
Ainsi ces discours sont faux et tyranniques : “Je suis beau, donc on doit me craindre ; je suis fort, donc on doit m’aimer ; je suis…” Et c’est de même être faux et tyrannique de dire : “Il n’est pas fort, donc je ne l’estimerai pas. Il n’est pas habile, donc je ne le craindrai pas.” »
Pascal, Pensées, 54.

Quand le philosophe français affirme que la tyrannie est le « désir universel de domination hors de son propre ordre », il la soustrait à la domination purement politique et va jusqu’à affirmer qu’elle est une prédisposition présente en chaque être humain, exactement comme l’est le péché.

Le titre du fragment, “Tyrannie”, est placé au centre. Une ligne de démarcation entre les deux aphorismes. Le premier, celui du début, dans lequel est indiquée une tyrannie universelle, violente ; le second, dans lequel la tyrannie ne revendique pas tout à elle-même, mais seulement une partie : « La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites, devoir d’amour à l’agrément, devoir de crainte à la force, devoir de créance à la science ».

Ce n’est pas le désir qui est condamné, mais le recours aux moyens pour obtenir quelque chose. Dans ce jeu de boîtes chinoises, il arrive que l’encastrement ne se produise pas. « Je suis beau, donc il faut me craindre », et voici la femme fatale rejetée dans ses prétentions. « Je suis fort, donc les gens doivent m’aimer », ce n’est que l’éternelle illusion des puissants.

Grand investigateur du “cœur” humain, le philosophe français en explore les côtés sombres et pervers. Dans la conception de Pascal de la tyrannie, nous voyons une composante fortement narcissique de la personnalité, ce narcissisme qui, comme l’affirme aujourd’hui la philosophe contemporaine Martha Nussbaum, s’il n’est pas correctement surmonté lors du passage de l’enfance à l’âge adulte, constitue un problème pour la démocratie et la coexistence civile. Et il ne fait aucun doute que la tyrannie est un problème à ne pas sous-estimer.

Pascal dit :

La Tyrannie consiste au désir de domination universel et hors de son ordre (92-58).

L’autorité politique n’a aucun droit d’ingérence dans les domaines scientifique, artistique, intellectuel ou religieux (et l’époque pas si lointaine de Covid nous avertit qu’elle n’en a pas non plus dans le domaine de la santé), parce qu’elle prétend étendre son domaine à des domaines qui ne relèvent pas de sa compétence et de sa juridiction. Mais ce faisant, le politique commet un abus de pouvoir.

Il ne faut pas oublier que Pascal, travaillant en milieu janséniste, connaissait bien la leçon de Cornelius Jansenius qui, dans Augustinus (publié à titre posthume en 1640), mettait l’accent sur la conscience des droits de l’individu et de la pensée personnelle contre l’absolutisme de l’autorité, y compris celle du papale.

La tyrannie de la force

Les concepts de justice et de force, que l’on retrouve dans le fragment 135 de l’édition Sellier, sont également liés au concept de tyrannie. [1]. Pascal déclare :

Il est juste que ce qui est juste soit suivi. Il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi.
La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique.
La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée.
Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste.
La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice, et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste.
Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

Dans ce morceau de Pascal, le philosophe et critique français Louis Marin (1931-1992) voit la légitimation par le droit de la politique par la force et la justice [2]. Mais l’interprétation de Pascal par Marin va encore plus loin, lorsqu’il s’agit de saisir l’opération de démasquage opérée par Pascal qui, derrière le mythe du contrat social et la fiction de l’état de nature qui le précède, révèle quel est le véritable fondement de la Loi : la violence.

Tout ordre politique serait donc un ordre tyrannique, du moins selon l’interprétation de Marin. Le caractère tyrannique de la force se trouverait dans la volonté de tout englober, de régner partout. Marin, à ce propos, écrit :

Deux définitions de la tyrannie [les fragments 91 et 92], c’est-à-dire de la force sans justice qui est la force même : violence absolue. Le fort dans son désir infini d’être le degré absolu de la force – paradoxe infini à la mesure de son désir – est désir de l’homogène, soit le désir de destruction de toute hétérogénéité[3].

La force est donc maîtresse des actions extérieures. En effet, tout système juridique repose sur elle, trouve sa légitimité dans la force.

L’histoire humaine et intellectuelle de Blaise Pascal s’inscrit dans le contexte historique et politique de l’absolutisme et le philosophe, qui en observe attentivement les mécanismes, a la capacité de saisir et de mettre en évidence les côtés sombres de la domination. La domination, par nature, tend à s’étendre et à exclure tous les autres. La domination naît de la force, se comporte de manière arbitraire, ne dialogue pas et n’écoute pas les besoins des autres.

D’une manière générale, selon Pascal, le pouvoir repose sur une double illusion : celle de ceux qui l’exercent et celle de ceux qui le subissent, à savoir la croyance qu’il repose sur les mérites de ceux qui le détiennent et qui sauront le gérer correctement (du moins dans l’espoir des subordonnés).

Pour illustrer la dynamique de tromperie et d’assujettissement sur laquelle se construit la domination, Pascal a recours à un apologue contenu dans les Trois discours sur la condition des grands, prononcés par Pascal à des fins pédagogiques vers 1660 pour le duc de Chevreuse, Charles-Honoré d’Albert (1646-1712), qui était conseiller de Louis XIV et gendre du ministre des finances Colbert. Cet apologue raconte que, à cause d’un banal échange de personne, des hommes attribuent la royauté et les honneurs à la mauvaise personne.

Le faux roi de l’histoire, honoré par des gens qui se trompent sur son identité, est la métaphore de l’essence même du pouvoir : il n’est presque jamais le résultat du mérite, mais plutôt d’un nom de famille, de biens et de richesses hérités, sinon vraiment volés, usurpé et maintenu par caprice, par arbitraire et par commodité. Ce sont les coutumes humaines qui établissent ce qui est bien et ce qui est mal après la naissance d’une institution. Pascal, à ce sujet, écrit :

Ainsi tout le titre par lequel vous possédez votre bien n’est pas un titre de nature, mais d’un établissement humain. Un autre tour d’imagination dans ceux qui ont fait les lois vous auroit rendu pauvre ; et ce n’est que cette rencontre du hasard qui vous a fait naître avec la fantaisie des lois favorables à votre égard, qui vous met en possession de tous ces biens. [4]

Au sein de ce système politique généralement admis, dans lequel les corps sociaux restent rigidement séparés (puissants et sujets), l’espoir de ceux qui subissent le pouvoir est que les puissants exercent leurs prérogatives avec équilibre, pour ne pas sombrer dans la tyrannie. Pascal écrit :

mais n’abusez pas de cette élévation avec insolence, et surtout ne vous méconnaissez pas vous-même en croyant que votre être a quelque chose de plus élevé que celui des autres[5].

Conclusion

La tyrannie est le désir démesuré d’outrepasser les limites de l’autorité, débouchant sur des domaines dans lesquels elle n’a aucune pertinence et, par conséquent, ne fonctionne pas, tout en se faisant des illusions sur ce qu’elle fait. Le tyran croit qu’il brille de sa propre lumière (“Je suis, donc…”).

Au début de sa réflexion sur le sujet, Pascal note qu’il existe différents ordres de réalité : le beau, le bon, le fort, le vrai, qui agissent chacun dans leur domaine et selon leurs modalités propres. Il y a souvent confusion entre ces différents domaines et donc des litiges entre les hommes. Dans le 22e Provincial, il avait déjà affirmé que la force et la vérité sont d’un ordre différent et que, par conséquent, elles ne peuvent rien l’une contre l’autre. De ces premières réflexions émerge la notion centrale de tyrannie comme volonté de déborder l’autorité d’un ordre sur un autre. Dans la deuxième partie de sa réflexion, Pascal étend la notion de tyrannie à tous les domaines de la politique, de la science et même de l’esthétique.

Dans une autre partie des Pensées[6], le philosophe affirme que tout le monde veut dominer sur tout, être les tyrans de tous les autres. Cette libido dominandi, c’est-à-dire ce désir de domination, apporte avec elle la rivalité et la haine. La convoitise et la force sont les origines de toutes nos actions.[7].

Il ne faut pas oublier que dans les Trois discours sur la condition des grands, Pascal répète (troisième discours) que les membres du corps politique “sont pleins de concupiscence”. Le désir de domination est transversal à toutes les conditions sociales, touche tous les êtres humains et est animé par la convoitise[8].

Au contraire, l’imagination égare les gens comme les sages, car elle est « la partie dominante de l’»[9].

Ces forces agissent au sein de groupes humains, qui ont chacun leur propre petit ou grand pouvoir ; ce qui implique une séparation des autres groupes, un manque de compréhension avec les autres. C’est pourquoi Pascal dit au seigneur (deuxième des Discours sur la condition des grands) :

Si vous êtes duc et honnête homme, je rendrai ce que je dois à l’une et à l’autre de ces qualités. Je ne vous refuserai point les cérémonies que mérite votre qualité de duc, ni l’estime que mérite celle d’honnête homme. Mais si vous étiez duc sans être honnête homme, je vous ferais encore justice ; car en vous rendant les devoirs extérieurs que l’ordre des hommes a attachés à votre naissance, je ne manquerais pas d’avoir pour vous le mépris intérieur que mériterait la bassesse de votre esprit.

Dans le troisième des Discours sur la condition des grands, Pascal ajoute :

Mais en connaissant votre condition naturelle, usez des moyens qu’elle vous donne, et ne prétendez pas régner par une autre voie que par celle qui vous fait roi. Ce n’est point votre force et votre puissance naturelle qui vous assujettit toutes ces personnes. Ne prétendez donc point les dominer par la force, ni les traiter avec dureté. Contentez leurs justes désirs ; soulagez leurs nécessités ; mettez votre plaisir à être bienfaisant ; avancez-les autant que vous le pourrez, et vous agirez en vrai roi de concupiscence.

Ainsi, la violence originelle a permis de bâtir des villes et, paradoxalement, l’amour-propre, tant du dominateur que du dominé, assure la pérennité de la société, car nous sommes prêts à renoncer à notre liberté en échange de la sécurité. Et aussi parce que le pouvoir monarchique repose sur la force de l’épée et sur le droit de conquête qui en résulte, comme Bodin l’a déjà reconnu. A cet égard, Gérard Ferreyrolles affirme affirme qu’il est nécessaire que «« la force et l’imagination soient ensemble pour constituer l’État de droit, mélange de consentement et de contrainte, de libertés et de nécessités ».[10]

Pascal est conscient que tout pouvoir est le résultat d’une contingence historique et rappelle au duc de Chevreuse (dernière partie du troisième discours) que la vraie grandeur consiste à ne pas prétendre dominer par la force et la dureté, mais à suivre la charité et la voie de Dieu :

Il y a des gens qui se damnent si sottement, par l’avarice, par la brutalité, par les débauches, par la violence, par les emportements, par les blasphèmes ! Le moyen que je vous ouvre est sans doute plus honnête ; mais en vérité c’est toujours une grande folie que de se damner ; et c’est pourquoi il ne faut pas en demeurer là. Il faut mépriser la concupiscence et son royaume, et aspirer à ce royaume de charité où tous les sujets ne respirent que la charité, et ne désirent que les biens de la charité. D’autres que moi vous en diront le chemin : il me suffit de vous avoir détourné de ces vies brutales où je vois que plusieurs personnes de votre condition se laissent emporter faute de bien connaître l’état véritable de cette condition[11].

NOTES


[1] Blaise Pascal, Pensées, texte de Philippe Sellier, Le livre de poche, Paris 2000.

[2] Louis Marin, Le Portrait du roi, Les Éditions de Minuit, Parigi 1981, p. 23-41.

[3] Louis Marin, Le Portrait du roi, Les Éditions de Minuit, Paris 1981,p. 25.

[4] Ibidem, p. 383.

[5] Ibidem, p. 384.

[6] Pensées, fragment 597, éd. Lafuma.

[7] Pensées, fragment 97, éd. Lafuma.

[8] Les Discours sur la condition des grands sont en ligne dans leur intégralité ici :

https://fr.wikisource.org/wiki/Pascal_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Hachette,_tome_2/Trois_discours_sur_la_condition_des_grands.

[9] Pensées, fragment 44, éd. Lafuma.

[10] Ferreyrolles G., Pascal et la raison du politique, PUF, Paris 1984, p. 290.

[11] Discorsi sulla condizione dei grandi, III, ultima parte, Éditions Hachette, Paris 1913, p. 19.

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Gouhier H., Le cœur qui sent les trois dimensions. Analyse d’une pensée de Pascal, in Aa. Vv., La passion de la raison: hommage à Ferdinand Alquié, publié sous la direction de J.-L. Marion avec la collaboration de J. Deprun, PUF, Paris 1983, pp. 203-215.

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Pascal B., Œuvres complètes, éd. L. Lafuma, Seuil, Paris 1963;

  • Opere complete, textes français et latins en face, par M.V. Romeo, Bompiani, Milan 2020 ;
  • Pensées, opuscules et lettres, éd. Ph. Sellier, Classiques Garnier, Paris 2010 ;
  • Pensieri, traduzione, introduction et notes par P. Serini, Giulio Einaudi éditeur, Turin 1962 ;
  • Pensieri, nouvelle édition par Ph. Sellier selon “l’ordre pascalien”, traduction et introduction par B. Papasogli, Città Nuova Editrice, Rome 2013.
  • Trois discours sur la condition des grands, Hachette, Paris 1913, dans Œuvres complètes (1871), tome II (p. 15-19).

Pavlovits T., Le rationalisme de Pascal, Éditions de la Sorbonne, Paris 2007.

Strowski F., Pascal et son temps, troisième partie, Plon, Paris 1923.

La storia sconosciuta di Adelaide Modena, profuga di guerra dal Friuli alla Puglia

Contessa di antico lignaggio, come tante persone di ogni condizione sociale della sua epoca, fu colpita da provvedimento di internamento durante la prima guerra mondiale. Oggi riposa nel cimitero di Celle di San Vito, la piccola località della Puglia dalla quale non fece più ritorno.

Lucia Gangale

Quella del profugato venne considerata una faccenda privata, soggettiva, come se
fosse naturale che le spalle femminili dovessero portare un tale peso senza
nemmeno il diritto che fosse ricordato, che entrasse ufficialmente nella storia.
Luciana Palla, Scritture di donne. La memoria delle profughe trentine nella prima guerra mondiale, DEP, Università Ca’ Foscari di Venezia, 2003

La contessa dimenticata

A Celle di San Vito la conoscono semplicemente come “la principessa”, anche se principessa non era, bensì contessa venuta da famiglia di antica nobiltà e, dopo breve ricerca, ne ho reperito il nome: Adelaide Modena. Nome per esteso: Adelaide Sofia Augusta Modena, nata a Scodovacca, oggi frazione di Cervignano del Friuli, l’11 dicembre 1862, da Giuseppe Antonio e da Luigia Del Ben1; morta a Celle di San Vito (FG), dove era stata internata come profuga di guerra, il 9 marzo del 1916, a soli 54 anni. Vi fu tumulata il giorno successivo e, da allora, nessuno, da queste parti, si era interessato alla sua storia. Finora si sapeva soltanto che ell aveva donato dei terreni alla collettività di Celle, ma, dal momento che su questa donazione non è possibile reperire documentazione scritta, è possibile che si tratti di una leggenda paesana.

Adelaide era la quarta di sette figli. Prima di lei c’erano Erminia, Maria Carolina, Alfredo Carlo. Dopo di lei c’erano Teresa Enrica, Adalberto Marco e Alice Maria.

La professoressa Luisa Esempio, nipote di Corinna Modena (di cui parleremo più avanti), a sua volta nipote di Adelaide (in quanto figlia di suo fratello Adalberto e di Paolina Gratton), ha riferito a chi scrive quanto segue: «Mia nonna Corinna mi parlava sempre di Adelaide internata nel Sud Italia. Questa storia ancora oggi i commuove e ci ho sempre pensato. Mia zia mi raccontava che Adelaide fu portata via dagli italiani nel cuore della notte con la sola camicia da notte addosso. Durante il viaggio, comprò degli orecchini di corallo da una persona, forse una donna, il che significa che aveva portato un po’ di soldi con sé. Pensi che questi orecchini sono la sola eredità di Adelaide ed io poi li ho fatti trasformare in un anello, che ancora oggi conservo con particolare affetto»2.

Adelaide era stata internata lontana dalla sua terra, in quanto moglie di un generale austriaco e quindi vittima, come tanti civili, della legislazione speciale di guerra, alla quale ricorsero tutti i paesi belligeranti, che, allo scoppio del conflitto, chiusero le frontiere ed espulsero o internarono tutti i cittadini degli Stati nemici.

Grazie alla genericità delle motivazioni e alla inesistenza di procedure burocratiche, l’internamento e il confino furono il principale e più arbitrario strumento di repressione del dissenso politico-sociale. Più in generale, non necessitando di un fondamento nei fatti, furono strumento ineguagliabile di intimidazione, per bloccare qualsiasi espressione o comportamento non consone alla linea ufficiale e per istaurare un clima di perenne apprensione, onde l’individuo venisse portato a ricercare sicurezza e certezze all’interno delle regole e delle ideologie dominanti. (Giovanna Procacci, L’internamento di civili in Italia durante la prima guerra mondiale, in DEP n.5-6 / 2006, pag. 66)

Adelaide Modena ebbe la sorte di nascere in un territorio conteso da italiani ed austriaci. Essendo la famiglia Modena di sentimenti filoasburgici, fu ritenuta una persona da eliminare.

La casa antica dei Modena a Scodovacca, in località chiamata Luc Brusât, dove ha vissuto Adelaide Modena (foto di Adriana Miceu).

Il campo di studi sugli internati di guerra è relativamente recente. Ancora più recenti sono gli studi che riguardano le donne internate, le cui storie non hanno a lungo fatto parte della storia ufficiale. Il primo ad avere aperto la strada a questo filone di indagine è stato Camillo Medeot (San Lorenzo Isontino, 25 luglio 1900 – Gorizia, 6 agosto 1983), politico e storico italiano di area cattolica3. Sui libri scolastici di ieri e di oggi il tema non viene neppure sfiorato. Mentre invece, a livello universitario, si segnala l’ottimo lavoro che dal 2004 viene condotto dall’Università Ca’ Foscari di Venezia, che, dal luglio di quell’anno,  produce la rivista scientifica DEP – Deportate, esuli, profughe (disponibile online all’indirizzo: www.unive.it/pag/31776/). Come si legge nella presentazione, la rivista: «Si occupa in particolare della memoria delle donne e dei bambini rinchiusi nei campi di concentramento, della violenza alle donne, offese nella loro femminilità e nella maternità, dello sradicamento, dell’esilio, delle migrazioni da conflitto e dello spostamento forzato da ‘sviluppo’, dello stupro di massa come strumento di espulsione, del genocidio e della snazionalizzazione. DEP verte inoltre sui temi della negazione dei diritti, della resistenza e della disobbedienza all’autorità, della riflessione femminista su guerra e militarismo, nonché dell’aiuto delle donne alle donne».

La storica friulana Adriana Miceu, che ha curato molti lavori di storia locale e che ha molto supportato chi scrive in questa ricerca, afferma una cosa piuttosto interessante, e cioè che da un quarantennio esiste una pubblicistica locale sulla tematica degli internamenti di guerra:

«Da circa quarant’anni nell’ex Friuli austriaco (le cosiddette “terre redente”) sono uscite diverse pubblicazioni che parlano di cose mai raccontate sui libri di Storia e tanto meno sui testi scolastici. In tutti è stato scritto che i popoli oppressi dal governo austro-ungarico attendevano i ‘liberatori’, invece solo una minima parte aspirava a passare sotto l’Italia e precisamente i liberali possidenti. Migliaia di Soldati sono stati fucilati per ordine dei loro comandanti e solo perché si rifiutavano di andare a farsi massacrare sul Carso. Qui, nel castello di Saciletto, esisteva il tribunale supremo di guerra che, dopo un sommario processo, condannava quasi tutti alla fucilazione. Con l’entrata in guerra del 24 maggio 1915 gli Italiani avevano già la lista delle persone da internare. Ma poi se ne sono aggiunte tante da parte di chi aveva dei debiti ai quali faceva comodo segnalare come spie le persone a cui dovevano del denaro che così e ne liberavano»4

In uno degli studi dedicati agli internati in Italia nel corso della prima guerra mondiale è scritto: «Non era nemmeno necessario che sussistessero motivi specifici di sospetto: bastava che le persone fossero ritenute “capaci” di esercitare lo spionaggio, o dimostrassero non solo diffidenza, ma anche semplicemente indifferenza verso il nuovo Stato». (Giovanna Procacci, L’internamento di civili in Italia durante la prima guerra mondiale, DEP n.5-6 / 2006, pag. 39).

Matteo Ermacora scrive:

Così come gli uomini, che si distinguevano per una esplicita attività “politica” all’interno di partiti ed istituzioni locali, anche le donne diventarono oggetto dell’azione repressiva militare; in un contesto sconvolto dalla guerra e dalla perdita dei tradizionali punti di riferimento, le donne furono vittime di invidie, rivalità, rancori personali, calunnie; come dimostrano diverse situazioni che si riferiscono al caso Trentino e a quello dell’Isontino, durante il passaggio dall’amministrazione austriaca a quella italiana non pochi delatori si prestarono ad accusare possidenti, negozianti o piccole proprietarie per entrare in possesso di attività e di beni frutto di esperienze migratorie o di attività imprenditoriali avviate nel periodo precedente al conflitto. Altre donne, invece, vennero cautelativamente internate perché occupavano posti di rilievo – maestre, ostesse, albergatrici, levatrici – perché erano in relazione con molte persone e venivano ritenute capaci di attività di propaganda ostile.
Nel 1915 gran parte degli internamenti femminili erano motivati dalla fedeltà alla monarchia asburgica, indicata come “austriacantismo”, e dalle presunte azioni di spionaggio. L’accusa di austriacantismo, piuttosto vaga e generica, colpì mogli, madri o figlie di amministratori, veterinari, medici, gendarmi, guardie di finanza, soldati austriaci, categorie di persone ritenute pericolose dal punto di vista militare o perché contrarie alla causa irredentistica; in virtù di queste relazioni parentali, nelle retrovie anche la presenza delle donne veniva considerata pericolosa. (Ermacora Matteo, Le donne internate in Italia durante la Grande Guerra, in DEP – Deportate, esuli, profughe. Rivista telematica di studi sulla memoria femminile, Università Ca’ Foscari di Venezia, online, n. 7/2007, pag. 5).

Nello studio di Ermacora è documentato che il numero delle donne deportate da Cervignano del Friuli (da cui Scodovacca era separato fino al 1928) fu piuttosto consistente e, inoltre, che le donne erano di qualsiasi età e condizione sociale e professionale. I resoconti parlano di svariate migliaia di persone deportate e internate in posti sperduti del Sud Italia e soprattutto in Sardegna. Tra queste vi erano anche moltissimi preti.

Entrare nella storia di Adelaide Modena, che fu internata per “austriacantismo”, significa entrare in un groviglio di storie di famiglia che sembra inestricabile e sui cui ultimi esiti sembra essere calato un pudico silenzio.

Significa anche esplorare un ambito che molto incuriosisce nelle ricerche sugli internati, e cioè quello delle storie familiari ed anche dei singoli individui, perché proprio da esse si può avere un quadro dettagliato di quel periodo storico, che costituì il precedente preferito del regime fascista, il quale si limitò solo a perfezionarne gli strumenti repressivi adottati5.

Nel caso di Adelaide, la faccenda si complica, perché, per quanto chi scrive abbia cercato, non c’è documentazione scritta del suo passaggio a Celle di San Vito (fatta eccezione per l’atto di morte), dove rimase solo sette mesi, fino ad una morte prematura di cui non conosciamo neppure la causa. Forse inedia? Forse malessere per lo sradicamento subito? Oppure una broncopolmonite, che era uno dei malanni diffusi fra profughi e internati, dato che il luogo dove fu internata è quello più esposto a forti venti del piccolo paesino pugliese ed essa vi passò praticamente tutto l’inverno?

Semplici supposizioni. Del resto, neanche i suoi genitori ebbero una vita lunga, in quanto suo padre morì a sessant’anni, mentre sua madre sessant’anni non arrivò neppure a compierli.

Purtroppo, non abbiamo reperito carte scritte da Adelaide, nemmeno una semplice cartolina o un foglietto recante qualche suo pensiero. Ed inoltre, i successivi lavori di ristrutturazione del castello, in una delle cui cellette dei monaci la donna fu costretta durante l’internamento, hanno presumibilmente fatto sparire tutta la documentazione esistente.

“Domiciliata temporaneamente a Celle San Vito”, come si legge nell’atto di morte conservato nella locale parrocchia di Santa Caterina, essa vi trovò invece la morte. Era stata internata il 24 agosto 1915, prima a Firenze, poi a Lucera ed infine a Celle di San Vito. Suo figlio Augusto Modena, nobile, possidente, commerciante di biciclette era stato internato qualche mese prima, il 7 giugno 1915. Prima a Firenze, poi a Lucera (FG)6. Motivazione: austriacante sospetto e pericoloso. Mentre Augusto riesce ad ottenere il rimpatrio, il 14 marzo 1916, Adelaide non rivedrà mai più il luogo natale, perché muore a Celle qualche giorno prima (come detto, il 9 marzo). Si spegne alle ore 14 in casa, munita del sacramento della confessione7.

Sul suo sepolcro è apposta una lapide con la scritta “Il figlio Augusto pose”.

Dall’atto di morte conservato a Scodovacca, risulta che Adelaide Modena era domiciliata in Via Camillo Bisaccia, 89. Questa è un’informazione preziosa, perché basta fare una rapida ricerca su Google Maps, per individuare il luogo esatto dell’internamento della donna, dal momento che la toponomastica cellese pare non avere subito trasformazioni dal primo Novecento. E così, si scopre che essa alloggiava, come detto, nel castello di Celle, laddove in quella data si trovavano ancora le cellette dei monaci del convento di San Nicola, che poi nel Milleduecento alloggiarono i soldati e le famiglie francoprovenzali al seguito di Carlo I d’Angiò, in lotta con Federico II di Svevia ed i trentamila musulmani da lui portati a vivere nel vicino Castello di Lucera.

Si tratta di una parte del piccolo paesino pugliese particolarmente isolata ed anche esposta a forti venti. Intorno boschi e montagne. Poco distante si vede il vicino comune di Faeto. Adelaide era lì, costretta a vivere isolata nella cella di un ex convento, in una situazione che non avrebbe voluto. Neppure sette mesi dopo, è proprio qui che muore.

Si prova un senso di umana pietà a ripercorrere questa triste vicenda umana, con il carico di solitudine, angoscia, forse malattia, che l’hanno caratterizzata.

Una donna, vittima, come tanti, della follia di guerra dei suoi tempi e dell’amarezza di quei giorni. E, come tante altre donne, dimenticata dalla Storia.

Chi era Adelaide Modena?

Adelaide non fece in tempo a fare ritorno nella sua terra perché la morte la colse a Celle di San Vito.

Scrive Procacci:

«La fine dell’internamento per i regnicoli e per gli irredenti (salvo, in quest’ultimo caso, un diverso giudizio delle autorità di p.s.) venne formalmente dichiarata e comunicata ai prefetti il 19 gennaio 1920, ma solo nell’agosto del 1919, grazie all’intervento di Nitti, divenuto primo ministro, si giunse all’effettivo rimpatrio degli internati. (Procacci, 2006, cit. pag. 65).

Abbiamo già affermato che nell’immaginario collettivo paesano di Celle di San Vito, essa è figura presente, tuttavia a livello storico, prima d’ora, su di lei, da queste parte, non sono mai state effettuate delle ricerche. Della sua storia vi è solo un rapido accenno in un libro autopubblicato di Gabriella Tavano, sostituto procuratore della Repubblica di Bologna, originaria di Celle di San Vito. Il libro si intitola Le lettere di Angela (Edizioni Il mio libro, 2011. Un estratto è su https://reader.ilmiolibro.kataweb.it/v/629636/le-lettere-di-angela_629636):

Ed è vero che a Celle di San Vito, in provincia di Foggia, fu deportata, nel 1915, una donna friulana, che oggi riposa nel piccolo cimitero del paese (pag. 3).

Come fu accolta Adelaide nel piccolo paesino di Celle? Come straniera? Come nemica?

Non lo sappiamo. Forse non lo sapremo mai. Sappiamo, però, per certo, che in quegli anni di violenza molti giovani cellesi partirono dal loro paese per andare a combattere nel Veneto, nel Trentino e nel Friuli e non fecero più ritorno. La retorica del tempo non mancava di circondare tali luttuosi eventi:

I figli del Gargano continueranno a compiere il loro dovere per dimostrare ai sudditi di Casa d’Asburgo che non andò perduto il seme che i nostri eroi del Risorgimento affidarono ai campi di Palestro, di S. Martino, di Solferino, del Volturno, fecondandolo col loro sangue generoso.
Siamo cittadini italiani, gridiamo ai quattro venti, certi che il futuro sarà degno del passato e la stella italiana splenderà anche sulle terre di Trieste e di Trento circonfusa di gloria e di fortuna.
(Da Giovanni Tancredi, “Siamo cittadini italiani”, in Il Gargano e la guerra, Tip. Pesce, Lucera 1916, pag. 56).

Adelaide proveniva da una famiglia di nobili possidenti di origine veneziana che erano conti del feudo di Scodovacca. Nel suo antico passato tale famiglia potrebbe avere origini israelitiche.

Giunta in Friuli in epoca imprecisata, la famiglia Modena si stabilisce a Cividale e si lega alle più importanti casate friulane come Liruti, Panigai e della Torre. È sempre un matrimonio, quello di Francesco con Giovanna Cristomolo, che porta i Modena a Scodovacca di Cervignano (1646) dove nell’arco di breve tempo costituiranno un discreto patrimonio fondiario: ereditate le proprietà di Giorgio Cristomolo e della moglie Vittoria Paganini, gli eredi di Francesco espandono i propri interessi immobiliari sino a Trieste e Capodistria. Il Senato Veneto con decreto 14 marzo 1739 impresse in perpetuità il titolo di conte del feudo di Scodovacca, posseduto dalla famiglia e il 17 marzo stesso ordinò la iscrizione col titolo di Conte nell’A.L.T. del can. Giorgio e di Lunardo, Iseppo, Antonio e Francesco di Nicolò8.

La nipote dell’ultima contessa Modena, Corinna Modena, è la professoressa Ada Zimolo Tavella, la quale ha dedicato un corposo libro di circa cinquecento pagine ai suoi illustri antenati9. In questo libro il racconto si arresta alle soglie del Novecento, quando il legame tra i Modena ed il feudo di Scodovacca si fa sempre più labile (e quando il patrimonio di famiglia è divenuto sempre più esiguo). L’autrice parla di «rispetto dovuto a coloro che ancora vivono nella memoria».

Dal libro di Zimolo Tavella, che ha compiuto delle scrupolose ricerche di archivio, possiamo trarre delle notizie interessanti.

Ella introduce l’albero genealogico della famiglia Modena, dal quale balza subito agli occhi un particolare, e cioè che Adelaide sposò suo zio di primo grado, ovvero il fratello di suo padre. Per tale motivo, il matrimonio fu celebrato con dispensa papale10.

Il matrimonio fu celebrato il 21 novembre 1887. Carlo Augusto Modena, alto e pluridecorato ufficiale dell’Impero asburgico, all’epoca ha 52 anni. Adelaide, possidente, ne ha solo 24.

Sull’atto è specificato che la dispensa è accordata per motivi di consanguineità.

Il matrimonio è celebrato nella chiesa parrocchiale San Marco di Scodovacca.

Dei genitori di Adelaide già si è detto in apertura di questo saggio.

Per quanto riguarda, invece, Carlo Augusto (21 marzo 1835 – 6 dicembre 1903), egli è il quarto e ultimo figlio di Francesco Marco (nato dal terzo matrimonio di Giuseppe), capitano della Guardia Nazionale e possidente (n. 1797) e di Teresa de Rozenweig (morta nel 1865), figlia di Vincenzo, viennese, consigliere del governo austriaco e prefetto a Udine. (Il padre di Adelaide, Giuseppe Antonio, fratello di Carlo Augusto, è invece il secondogenito).

Come scrive Ada Zimolo Tavella nel suo libro11 , mentre in Italia si prepara la terza guerra di indipendenza per liberarsi dal giogo austriaco, Carlo Augusto si trova a Verona, sull’altro fronte, come Imperial Regio Tenente nel Reggimento Cacciatori.

È qui che il 26 marzo 1866 nasce un figlio naturale, Agostino, frutto di una relazione che Carlo Augusto ha avuto con una donna non sposata di nome Bartolomea Vanoni, di Verona. (Dal registro dei morti della parrocchia di Scodovacca si ricava che Agostino è stato legittimato con decreto sovrano il 27 – 5- 1899). Agostino è registrato come “Augusto” dal parroco dell’epoca, don Domenico Plotti. Agostino/Augusto è nato a Scodovacca il 26 marzo 1866 e vi è morto il 10 marzo 1942 (ved. foto in basso della famiglia Modena).

Da tener presente che all’epoca dei fatti da noi esaminati, i nomi delle persone venivano registrati in lingua latina, e quindi la sottile differenza tra “Augustus” e “Augustinus” può avere determinato un errore da parte del parroco. Finita la terza guerra di indipendenza e siglata la pace di Vienna, Carlo Augusto fa ritorno a Scodovacca trionfante e pluridecorato. Ha, tra l’altro, acquistato la prestigiosa onorificenza di Chevalier de l’Ordre de Léopold, ordine belga civile e militare. Nel 1881 il Ministero degli Affari Esteri belga lo indica quale “Officier de S.M. l’Empereur d’Autriche et d’Hongrie.

Peccato che nell’unico libro in cui sia contenuta la storia al completo della famiglia Modena, non si faccia riferimento ad Adelaide.

Nel libro Fratelli d’Italia Gli internamenti degli italiani nelle “terre liberate” durante la grande guerra (2002), alla pagina 156 è riportata in sintesi la testimonianza di Corinna Modena (foto in basso), l’ultima contessa di casa Modena, la quale, l’aveva resa agli autori dalla sua residenza di Palmanova:

Durante la forzata lontananza i terreni, dei quali la famiglia era proprietaria in Scodovacca, rimasero incolti e subirono danneggiamenti d’ogni genere. Quando, nel 1919, fu permesso a Augusto Modena il rimpatrio, questi si impegnò a fondo per il miglioramento (coltura dei fondi in questione, indebitandosi per un’ingente somma di denaro). Due consecutive cattive annate misero però in ginocchio la famiglia, provocandone il declino e la rovina. Il conflitto rappresentò quindi una delle principali cause della decadenza della famiglia Modena, alla quale tra l’altro erano stati sottratti già nei primi giorni di guerra la maggior parte degli averi in termini di mobilio, documenti e bestie da lavoro; la signora Corinna racconta come, in occasione dell’offensiva di Monfalcone, l’intera famiglia dei Modena fu fatta evacuare a Cervignano. Quando fece ritorno presso la propria abitazione la trovò vuota, avendo i militari asportato tutto il mobilio migliore, tutti i documenti ivi custoditi nonché il bestiame lasciato nelle stalle. La contessa Adelaide fu internata, ritenuta austriacante e sospettata di spionaggio, probabilmente perché moglie di un ufficiale austriaco. (Corinna Modena, 2 dicembre 1905-23 agosto 2002 è la zia di Ada Zimolo Tavella, autrice del libro sulla famiglia).

I Modena avevano le loro proprietà soprattutto a Palmanova e a Scodovacca (Luc Brusât, noto come borgo Modena)12. A borgo Modena, la settecentesca villa e l’annesso parco che essi detenevano nella piana rurale di Scodovacca, nei momenti di rovesci di fortuna fu acquistata acquistata all’asta dal barone Antonio Kircher (che i contadini, nei primi tempi, si rifiutarono di riconoscere come nuovo padrone, ragion per cui egli fu costretto a rivolgersi ad un avvocato) e poi passò alla famiglia Chiozza13, imprenditori triestini, che la acquistarono alla metà dell’Ottocento. La villa abitata fu abitata dal grande chimico italiano Luigi Chiozza (Trieste, 1828 – Cervignano del Friuli, 1889), che aveva sposato la figlia di Kircher, Teresa. Egli, per portare avanti le sue ricerche scientifiche, ne adibì alcuni locali a laboratorio. In questa bellissima villa, nel 1870, fu ospite anche lo scienziato francese Louis Pasteur, che il proprietario aveva conosciuto durante i suoi studi all’Ecole de Chimie Pratique di Parigi14. Tutto il terreno che circondava la villa diventò uno splendido parco all’inglese, con delle scelte botaniche legate agli interessi scientifici di Luigi Chiozza (ad esempio il gelseto che gli serviva per gli studi del baco da seta)15.

Durante la Seconda guerra mondiale la villa fu sede del Comando Gruppo Armate dell’Est. Nel 1978 la villa fu acquistata dalla Regione Friuli, ed oggi, insieme al parco, è sede di Turismo FVG16.

I Modena, ormai impoveriti, sono costretti di nuovo a stabilirsi nella vecchia casa a Luc Brusât.

Villa Chiozza racconta storie molto lontane del piccolo paese di Scodovacca, storie che risalgono alla sua fondazione e, inoltre, contiene pochi ritratti che rivelano l’orgoglio di una appartenenza familiare ed il desiderio di tramandarne il ricordo. È conservato il ritratto di Carlo Modena, il marito di Adelaide, il quale, come ricorda Aza Zimolo Tavella nel suo libro17 «non fu tra coloro che combatterono per unificare un paese da secoli oppresso e diviso».

Carlo Augusto Modena si spegne il 6 dicembre 1903 per una infiltrazione cancerosa e, come si evince dall’atto di morte conservato a Scodovacca, egli fu renitente all’estrema unzione.

Una ricerca aperta a nuovi sviluppi

Abbiamo, dunque, parlato della famiglia di Adelaide Modena, ma di lei non possiamo dire altro, perché sul suo vissuto non ci sono riscontri scritti.

Come detto, ella fa parte dello stuolo di donne incolpevolmente dimenticate dalla Storia, di cui, solo in tempi recenti, cominciano ad esserci studi che provengono dall’apertura di archivi pubblici e privati.

Una foto, ormai introvabile, di proprietà di Corinna Modena, pubblicata sul libro di Milocco, immortala Adelaide in un quadro di famiglia: al centro si trova il conte Adalberto Modena (1866-1950). Accanto a lui, con la camicia bianca, c’è Adelaide. A sinistra, la domestica Alba Maschietto,  seconda in prima fila è Paolina Gratton, moglie di Adalberto con davanti i figli Carlo e Corinna. Accanto ad Adelaide si trova sua sorella, Erminia Modena. Dopo numerose ricerche svolte tra i familiari, non siamo riusciti a capire se nella foto appaia anche Agostino/Augusto Modena, visto che si tratta di una antica foto di famiglia.

Il solitario sepolcro che accoglie le sue spoglie a Celle di San Vito ne custodisce il segreto e il riposo. Possibile che questa donna non abbia lasciato testimonianza scritta di sé? Come è stata accolta dalla piccola comunità di Celle? Come è vissuta in quei pochi mesi? Pregava? Si disperava? Si rassegnava? Cosa ha provato? Come è morta? Che fine ha fatto il figlio Augusto, morto a 49 anni (come riportato nel libro Fratelli d’Italia, 2002), che qui pose per lei un monumento funebre di cristiana pietà?

Interrogativi destinati a rimanere inevasi, almeno fino a quando gli accademici ed i ricercatori di storie locali non apriranno tutti gli archivi possibili tra i luoghi dove, in quel folle periodo della storia, la sua presenza errante è stata segnalata, da Firenze a Lucera a Celle di San Vito, sua ultima dimora terrena.

Per questa ragione chiediamo aiuto agli archivisti della provincia di Foggia ed quelli di Firenze, altra città dove Adelaide, come tanti e tanti altri, fu profuga di guerra.

Ma, soprattutto, chiediamo ausilio ai cellesi, che, ancora oggi, professano una rispettosa venerazione per la profuga arrivata qui da tanto lontano, da un mondo ai confini della penisola. Chiediamo loro di scavare nei loro ricordi e cercare nella mente la testimonianza dei loro antenati in merito alla storia della loro “principessa”. Cercare nelle carte e nei documenti di famiglia, se mai dovesse esservi qualche flebile testimonianza del passaggio di Adelaide.

Chiediamo alle Università pugliesi di aprire un filone di ricerca sui profughi e gli internati di guerra in Puglia. Alle biblioteche ed alle emeroteche del territorio di riportare alla luce particolari sulle vicende personali degli internati del ’15-’18.

Chi scrive, termine qui la propria indagine, che getta un piccolo ponte tra due realtà agli estremi opposti dell’Italia, quella friulana e quella foggiana, nella speranza che qualcun altro voglia raccoglierne le indicazioni.

Documenti

Atto di nascita di Adelaide Modena. Sotto, atto di matrimonio tra Carlo Augusto ed Adelaide Modena.

Dal libro “Fratelli d’Italia”

Atto di morte di Adelaide conservato nella parrocchia di Santa Caterina a Celle di San Vito

Atto di morte di Adelaide (anagrafe di Scodovacca)

Atto di morte di Carlo Augusto Modena

Tomba della famiglia Modena a Scodovacca (foto di Adriana Miceu)

Istanza di ritorno a Scodovacca prodotta da Augusto Modena, il figlio di Adelaide (Archivio Centrale dello Stato di Roma).

Atti di morte di Agostino (Augusto) Modena e di Erminia Modena, conservati nell’archivio parrocchiale di Scodovacca.

Archivio Centrale dello Stato di Roma: Istanza di Agostino/Augusto Modena del 1925, con la quale egli chiede alla Presidenza del Consiglio dei Ministri che sia riconosciuta la patente di nobiltà per sé e per i suoi congiunti. I diritti di cancelleria risultano saldati dal Modena. Forse è un modo che egli ha avuto per preservare la sua proprietà di Scodovacca, devastata durante la Prima Guerra Mondiale.

Ringraziamenti

Sono particolarmente riconoscente per l’aiuto offertomi in questa ricerca a Mariangela Genovese e Stefania Acquaviva dell’Infopoint di Celle di San Vito. A don Luigi Pompa della Parrocchia Santa Caterina di Celle di San Vito. All’Ufficio Anagrafe di Cervignano del Friuli. All’architetto Michele Tomaselli dell’Associazione Cervignano Nostra. Alla storica locale Adriana Miceu, da sempre impegnata nella divulgazione delle memorie della bassa friulana. Al signor Franco Zampar di Cervignano del Friuli. I materiali di questo lavoro provengono da: Archivio Centrale dello Stato di Roma, Arcivescovado di Gorizia, Parrocchia Santa Caterina di Celle di San Vito, Ufficio Anagrafe di Scodovacca. Tutti, enti e privati, mi hanno aiutata in qualche modo. A tutti costoro va il mio più sentito ringraziamento.

Note

  1. Giuseppe Antonio Modena, 1830 – 1890; Maria Luigia Del Ben, 1825 – 1882. Dati tratti dall’albero genealogico di famiglia, in A. Zimolo Tavella, I conti Modena di Cividale e Scodovacca, CopyArt, Pordenone 2007 ↩︎
  2. Testimonianza resa alla scrivente nel corso di una conversazione telefonica svoltasi il 22 ottobre 2023. La professoressa Esempio era particolarmente commossa. Ringrazio per questa segnalazione la storica Adriana Miceu. ↩︎
  3. Tra le sue opere più significative al riguardo: Storie di preti isontini internati nel 1915, Quaderno di “Iniziativa Isontina”, Gorizia 1969;  Due friulani internati (1915-18), La Nuova Base, Udine 1974; Prigionieri friulani a Novi Zavòd, IN LXXI 1979. ↩︎
  4. Testimonianza resa alla scrivente da Adriana Miceu, storica locale. Sul tema delle delazioni legate ai debiti di chi le faceva, esiste anche una letteratura presente nella rivista DEP, prima citata ↩︎
  5. Cfr. Procacci, 2006, cit. pag. 122 ↩︎
  6. La notizia è contenuta nel libro “Fratelli d’Italia”, gli internamenti degli italiani nelle terre liberate durante la grande guerra, di Giorgio e Sara Milocco, Gaspari editore 2002. In detto libro Augusto è presentato come “figliastro” di Adelaide. Si veda anche il sito web: https://tinosgen.com/branches/giovanni-tinos-iv ↩︎
  7. Atto di morte conservato nella Parrocchia di Santa Caterina a Celle di San Vito. Per quanto riguarda Augusto, l’Archivio Centrale dello Stato di Roma contiene il documento del Ministero dell’Interno con la di lui istanza di far ritorno in Scodovacca, dalla città di Lucera in cui si trova internato. Il documento è datato 30 ottobre 1915. L’istanza è stata prodotta dall’interessato la settimana prima ↩︎
  8. Si vedano: V. SPRETI, Enciclopedia storico nobiliare, Bologna, 1969, vol. IV, p. 618; A. MICEU, Famiglie e personaggi illustri di Scodovacca, in “Scodovacca, la sua storia, la sua gente”, Cormons, 2005, p. 199-201 ↩︎
  9. A. Zimolo Tavella, I conti Modena di Cividale e Scodovacca, CopyArt, Pordenone 2007 ↩︎
  10. La presente ricerca si avvale di due formati dell’atto di matrimonio tra Carlo Augusto e Adelaide Modena. Uno proviene dall’Arcivescovado di Gorizia, l’altro dall’anagrafe di Scodovacca ↩︎
  11. I conti Modena di Cividale e Scodovacca, cit. pag. 462. ↩︎
  12. Dove la contessa Isabella Modena, avendo bisogno di denaro, nella prima metà dell’Ottocento fece demolire una chiesetta avuta in eredità, raccogliendo una serie di sfortune per il resto della sua vita. In Cervignano Nostra Rivista di Storia, Arte, Cultura del Territorio a cura dell’Associazione Cervignano Nostra Numero 11, Maggio 2019, pp. 36-38 ↩︎
  13. A. Zimolo Tavella, cit., pag. 461. ↩︎
  14. Villa Chiozza – Un secolo di evoluzione e progresso dell’agricoltura in Friuli-Venezia Giulia, ERSA, Gorizia 1974. ↩︎
  15. Luigi Chiozza acquistò la villa dopo la morte a soli 21 anni della moglie Pisana. Lo scienziato lasciò l’istituto Arti e mestieri di Milano e si trasferì a Scodovacca. Una descrizione del parco di 18 ettari è qui: www.scoprifvg.it/site/parco-di-villa-chiozza/. ↩︎
  16. Cfr. www.sericus.it/luoghi/villa-chiozza/. ↩︎
  17. Cit., 2007, pag. 462. ↩︎

Bibliografia

Caglioti Daniela Luigia, Stranieri nemici: Nazionalismo e politiche di sicurezza in Italia durante la Prima guerra mondiale, Viella Libreria Editrice, Roma 2023.

Ermacora Matteo, Le donne internate in Italia durante la Grande Guerra, in DEP – Deportate, esuli, profughe. Rivista telematica di studi sulla memoria femminile, Università Ca’ Foscari di Venezia, online, n. 7/2007.

Miceu Adriana, Famiglie e personaggi illustri di Scodovacca, in “Scodovacca, la sua storia, la sua gente”, Cormons, 2005, p. 199-201.

Milocco Sara e Giorgio, Fratelli d’Italia Gli internamenti degli italiani nelle “terre liberate” durante la grande guerra, Gaspari Editore, Udine 2002.

Palla Luciana, Scritture di donne. La memoria delle profughe trentine, DEP, Ca’ Foscari di Venezia, n. 1, 2004, pp. 45-52.

Procacci Giovanna, L’internamento di civili in Italia durante la prima guerra mondiale, DEP, Ca’ Foscari di Venezia, n.5-6, 2006

Spreti Vittorio, Enciclopedia storico nobiliare, Bologna, 1969, vol. IV, p. 618.

Tancredi Giovanni, “Siamo cittadini italiani”, in Il Gargano e la guerra, Tip. Pesce, Lucera 1916.

Tavano Gabriella, Le lettere di Angela, Il mio libro, 2011.

Zimolo Tavella Ada, I conti Modena di Cividale e Scodovacca, CopyArt, Pordenone 2007.


Fra’ Pacello da Mercogliano, il giardiniere di Francia

Fra’ Pacello da Mercogliano, dall’Irpinia ad Amboise nella dolce Val di Loira, in Francia. Il geniale monaco irpino fu colui che, insieme a Leonardo da Vinci, portò il Rinascimento in Val di Loira, quell’area di 900 metri quadrati nota come il “giardino di Francia” ed inserita nel patrimonio culturale dell’Unesco dall’anno 2000.

A Mercogliano, suo paese di origine in provincia di Avellino, a fra’ Pacello è dedicata una strada, come è indicato nelle guide che si possono trovare nel castello Gaillard, ad Amboise, la magnifica cittadina dove Leonardo da Vinci visse gli ultimi due anni della sua vita come artista al seguito di re Francesco I e dove il suo corpo è sepolto.

La storia di questo frate è emblematica di quanto l’intelligenza degli irpini abbia dato al mondo, di quante e quali tracce abbiano lasciato di sé nei luoghi dove le loro storie personali li hanno condotti.

Fra’ Pacello fu l’altro genio italiano che, in maniera diversa da Leonardo, come detto, portò la Renaissance in Francia, allestendo giardini magnifici e lavorando per tre sovrani: Carlo VIII, lo sfortunato re che voleva conquistare l’Italia e che era rimasto soggiogato bellezze della nostra penisola, quindi dal successore Luigi XII e poi dal munifico Francesco I, che al “suo bene amato Pacello” donerà il castello di Gaillard, in cambio solo di un bouquet annuale di fiori d’arancio. Si tratta di un dono rarissimo che un re abbia mai fatto ad un suo servitore, ma evidentemente, Catello aveva un fascino particolare, visto che era benvoluto dovunque. Ne parlano infatti come di un monaco “sorridente”, col dono di “far crescere le cose”.

Ancora oggi, allo château Gaillard, più defilato rispetto agli altri due castelli, quello reale appartenuto prima a Carlo VIII e poi a Francesco I, e quello di Clo Luce, dove visse Leonardo da Vinci, esiste una sorta di culto nei confronti di questo monaco venuto dall’Italia per diffondere bellezza ed allietare così l’esistenza dei suoi altolocati padroni. I quadri che lo ritraggono hanno praticamente il posto d’onore nelle stanze dove sono collocati tra quelli di alta nobiltà e teste coronate. L’elegante firma autografa di Pacello è esposta fuori e dentro il castello come se fosse un’opera d’arte. Sulle brochure non si parla che di lui. Nell’ampio giardino di 15 ettari vi è un padiglione a lui dedicato dove lungo tutta la giornata viene proiettato un video sulla sua storia e sulla sua creatività paesaggistica. La sua faccia bonaria e pienotta qui è dipinta sulle piastrelle del pavimento.

Pacello da Mercogliano, il cui vero nome era Catello Mazzarotta (o Mazzaretta), è stato il più grande giardiniere d’Europa durante il XV secolo. Basti solo sapere che ai suoi tempi era chiamato il «Leonardo dei giardini». Nasce a Mercogliano nel 1453 o 1455 e muore nel 1534. Della sua formazione gli storici affermano di non saperne molto, ma si può supporre che egli abbia appreso l’arte di coltivare le piante e curare i giardini presso famiglia monacale che a Mercogliano ha radici plurisecolari. La sua formazione si sviluppa, quindi, all’interno di un contesto favoloso (la cittadina, non a caso, è nota come “il gioiello del Partenio”) unito alla sapienza dei religiosi, che all’interno dei conventi hanno da sempre praticato l’arte della cucina e quella medicamentosa a base di erbe.

Il geniale Pacello è colui che per la prima volta in Francia acclimata delle arance allo château Gaillard. Inoltre crea la prugna Regina Claudia, le cassette per la coltivazione delle arance, la limonaia, la coltura in serra e la prospettiva assiale dei giardini.

Nel Gaillard oggi ci sono 160 alberi di arance e limoni, usciti da 60 varietà insolite.

Fra’ Pacello maneggia anche lavanda, alloro, timo, agrifogli, e li fa crescere copiosi.

Come detto, fu il re Carlo VIII a portarlo con sé in Francia, insieme ad una ventina di altri artisti italiani. Il giovane sovrano (aveva solo 23 anni), sceso in Italia per conquistarla, era rimasto incantato dai giardini di Poggio Reale curati dallo stesso Pacello e di proprietà del re Ferdinando d’Aragona. Alla fine del Quattrocento, questo piccolo castello dotato di quindici ettari di terreno nel cuore di Amboise era un miracolo, e re Carlo VIII, parlando della sua felicissima posizione, diceva: «L’inverno osa appena avventurarsi allo Château Gaillard».

Da precisare che qui tutto parla del Rinascimento italiano, anche il mobilio del castello in questione.

Pacello non sarà solo allo Château Gaillard, ma si occuperà anche dei castelli di Blois e di Gaillon. Nel 1503 sarà anche canonico della cattedrale di Saint-Sauver di Blois.

Tornando allo Château Gaillard, la sua fama è altresì legata al fatto che nel 1559, dopo sfarzose nozze celebrate a Notre Dame de Paris, Maria Stuarda (la sfortunata regina di Scozia che verrà imprigionata e poi decapitata sotto il regno di Elisabetta I nel quadro delle lotte tra cattolici e protestanti) ed il suo primo marito Francesco II vi passarono una luna di miele che durò tre settimane. Il castello, all’epoca, apparteneva allo zio di lei, il cardinale di Guisa.

La vita e l’opera di Pacello, arrivato ad Amboise a poco più di quarant’anni e rimastovi fino alla morte, avvenuta all’età di 87 anni a Blois, si intreccia così con quella di grandi avvenimenti storici sul suolo francese.

La riapertura dello Château Gaillard nel 2014, dopo un lungo periodo di abbandono ed a seguito dell’acquisto di privati, permette oggi al grande pubblico di conoscere questa bella storia, emblema di una civiltà dai tratti luminosi.

La gratitudine per Pacello è tale che all’interno del castello potete trovare il “comptoir des agrumes Mercoliano”. Il nome del paese irpino è, chiaramente, francesizzato, così come quello del frate. Nei documenti che lo riguardano, infatti, potete trovare scritto “Pacello de Marcolliano” o “Mercoliano”.

Il lavoro non gli mancava di certo nel Regno di Napoli, dove creava “paradisi in terra” (come disse anche Carlo VIII), ma poi abbracciò con fede il nuovo cammino che la Provvidenza gli indicava ed in Francia creò giardini di delizie, divenendo protagonista indiscusso del Rinascimento d’olpralpe, a cui apportò il gusto italiano.

Oggi su Pacello da Mercogliano c’è una copiosa letteratura scientifica, soprattutto estera, soprattutto francese, oltre ad alcune opere in lingua italiana.

Keywords: Pacello, Amboise, Mercogliano, giardini, Renaissance

Qui qualche info sul castello Gaillard:

www.it.bloischambord.com/esplorare/i-castelli/tenuta-reale-del-castello-gaillard#:~:text=Ubicata%20nel%20cuore%20della%20citt%C3%A0,dopo%205%20secoli%20d’oblio.

Bibliografia

BARDATI FLAMINIA, “Loghi da spasso et da piacere”: i giardini del cardinale Georges d’Amboise a Déville, Gaillon e Vigny, Leo S. Olschki, FIRENZE 2008.

BENOCCI CARLA, A ciascuno il suo paradiso. I giardini dei cappuccini, dei minimi, dei gesuiti, degli oratoriani, dei camaldolesi e dei certosini in età moderna, Istituto Storico dei Cappuccini, Roma 2020.

CARTIER ETIENNE, Essais historiques sur la ville d’Amboise et son château, Poitiers 1842.

Catalogue analytique de ses archives, contenant une collection de manuscrits, chartes et documens originaux, concernant l’histoire generale de France (etc.), 1838, pag. 179.

CLOULAS IVAN, Charles VIII et le mirage italien, Albin Michel, 2010, pp. 172, 234 e 243.

COHN RONALD e RUSSEL JESSE, Pacello Da Mercogliano, Tbilisi, Tbilisi State University, 2012.

DE LA SAUSSAYE L. Le chateau de Chambord, Aubry, Paris 1865, pag. 37.

DIPORT DANIELE, Le jardin et la nature. Ordre et variete dans la litterature de la Renaissance, Droz, Ginevra 2002.

FARIELLO FRANCESCO, La arquitectura de los jardines. De la antigüedad al siglo XX, Reverte, Barcelona 2018, pp. 125-128.

Gardens of Renaissance Europe and the Islamic Empires. Encounters and Confluences, Mohammad Gharipour, Penn State University Press 2017.

HALE JOHN, Civilization of Europe in the Renaissance, Scribner, New York 1995, pag. 523.

MEDEA ALBA, Arte italiana alla corte di Francesco I (1515-1547), Ed. L.F. Cogliati, Milano 1932.

Mélanges d’archéologie et d’histoire, Volume 14, 1894, pag. 630

MONGELLI GIOVANNI, Pacello da Mercogliano. Architetto giardiniere del periodo del Rinascimento, in “Samnium” n. 49, 1976, pp. 63-64.

PANE ROBERTO, Il Rinascimento nell’Italia Meridionale, Ed. Di Comunità, Torino 1977.

PANZINI FRANCO, Progettare la natura. Architettura del paesaggio e dei giardini dalle origini all’epoca contemporanea, Zanichelli editore, Bologna 2005.

PHABREY GILLE, Les Carendec Chronique du règne de Louis XII, FeniXX réédition numérique, Paris 1960.

PINON DOMINIQUE, Château-Gaillard (Amboise) et les orangers de Pacello da Mercogliano : un document inédit, 2018 (online).

PIZZONI FILIPPO, Il giardino, arte e storia dal Medioevo al Novecento, Leonardo Arte, Firenze 1997, pag. 74.

QUERVELLE PIERRE-MARIE, Blois. Son château, ses musées, ses monuments, FeniXX réédition numérique, Paris 1952.

SRICCHIA SANTORO FIORELLA, Il Cinquecento l’arte del Rinascimento, Jaca Book, Milano 1998, pp. 14 e 253.

VERHAEGHE FRANS, Chateau Gaillard XIII, 1987.

ZECCHINO FRANCESCO, Pacello da Mercogliano “giardiniere” alla corte di Francia, Elio Sellino editore, Avellino 2004.

ZOPPI MARIELLA, History of the European garden, Alinea, Firenze 2009, pp. 120 e 134.

Critique du livre “Au nome de la Justice” de Lucia Gangale/Recensione al libro

FR. Quelles sont les représentations les plus populaires de la justice dans les arts visuels ? Quelles sont les théories philosophiques les plus populaires liées au concept de société juste ? Comment le sens commun dicte-t-il les choix moraux individuels ?

Dans ce court essai académique, bien articulé, publié par Grin Verlag, Lucia Gangale introduit le lecteur dans un monde de références philosophiques, historiques, poétiques, artistiques, religieuses et même cinématographiques. La justice est, de tout temps, une aspiration humaine forte, car elle représente ce que nous avons de plus cher et de plus proche de notre monde intérieur. C’est ici que la justice se distingue du droit (mot avec lequel elle partage la racine ius, iuris), car le droit est, au contraire, un ensemble de règles valables dans un pays à une période historique donnée.

Le concept de justice apparaît dès les premières réflexions philosophiques, qui veulent que la justice opère au niveau cosmique (Parménide, Héraclite), puis passe dans les réflexions sur l’homme de Socrate, Platon et Aristote. Mais avant cela, les mythes se préoccupaient déjà du problème de la justice.

“La justice n’est pas de ce monde”, s’exclame le pape Pie VII en s’adressant au Marchese del Grillo dans le film éponyme de 1981 réalisé par Mario Monicelli.

Le texte biblique le mentionne cinq cents fois dans la Torah et deux cents fois dans le Nouveau Testament.

Karl Marx parle d’un “tribunal de l’histoire” et Martha Nussbaum a écrit des milliers de pages sur le thème de la justice sociale et de la répartition équitable des ressources.

Les tribunaux des plus grandes villes du monde regorgent de magnifiques représentations de la justice. Des peintres admirables comme Giotto et Léonard de Vinci lui ont consacré des œuvres intemporelles.

La philosophie politique a donné lieu à de vastes réflexions sur le thème de la justice.

L’époque moderne a vu naître le contractualisme, dont les principaux représentants sont Hobbes, Locke et Rousseau. Gangale examine leur pensée mais, pour la première fois dans les études sur le sujet, introduit également l’analyse des penseurs qui se sont opposés aux théories contractualistes : George Hegel, Edith Stein et Martha Nussbaum. L’auteure analyse ensuite les scénarios qui se sont déroulés entre 2020 et 2022, lorsque, dans le cadre de l’urgence Covid, une succession sans précédent de lois et d’états d’urgence a sabordé les droits les plus élémentaires garantis par la Constitution, jusqu’au chantage à la loi pour obliger les citoyens à administrer des vaccins expérimentaux, en assumant personnellement toutes les conséquences négatives possibles (qui, en fait, ont existé et continuent d’exister, sous la forme de maladies irréversibles et de “maladies soudaines”).

De nombreuses références philosophiques continuent d’être présentées par l’auteur : Abélard, Thomas d’Aquin, Kant, Dewey, Bentham et John Stuart Mill, Nietzsche, Rawls et le pape Benoît XVI en font partie (mais ce ne sont que quelques-unes).

La dernière partie du livre est celle où la psychologie et la sociologie font leur entrée dans le domaine de l’éthique et de la justice. Elle traite de sujets tels que : le contrôle social, les regroupements tribaux, l’ordre social, les rituels collectifs, la socialisation, le respect de l’autorité, la discrimination, la pensée unique, la tolérance, les capacités humaines.

En bref, un livre très dense dans sa concision, riche en idées créatives et qui offre des stimuli très intéressants aux spécialistes de la philosophie politique et de la sociologie des masses.

Lien: www.grin.com/document/1372661

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ITA. Quali sono le più diffuse rappresentazioni della giustizia nelle arti visive? Quali le teorie filosofiche più popolari legate al concetto di società giusta? Come il senso comune detta le scelte individuali in ambito morale?

In questo breve e ben articolato saggio accademico pubblicato da Grin Verlag, Lucia Gangale introduce il lettore in un mondo di riferimenti filosofici, storici, poetici, artistici, religiosi e persino cinematografici. La giustizia è, in ogni tempo, una forte aspirazione umana, in quanto essa rappresenta ciò che ci è più caro e più vicino al nostro mondo interiore. È qui che la giustizia si differenzia dal diritto (parola con cui condivide la radice ius, iuris), perché il diritto è, al contrario, un insieme di regole valide in un Paese in un determinato periodo storico.

Il concetto di giustizia appare fin dalle prime riflessioni filosofiche, che vogliono la giustizia operante a livello cosmico (Parmenide, Eraclito), e poi passa nelle riflessioni sull’uomo di Socrate, Platone e Aristotele. Ma già da prima, i miti si sono interessati del problema della giustizia.

«La giustizia non è di questo mondo!», esclama Papa Pio VII rivolgendosi al Marchese del Grillo nell’omonimo film del 1981 diretto da Mario Monicelli.

Il testo biblico menziona cinquecento volte nella Torah e duecento nel Nuovo Testamento.

Karl Marx parla di un “tribunale della storia” e Martha Nussbaum ha scritto migliaia di pagine sul tema della giustizia sociale e dell’equa distribuzione delle risorse.

I Tribunali delle città più importanti del mondo sono pieni di magnifiche rappresentazioni della giustizia. Pittori mirabili come Giotto e Leonardo da Vinci le hanno dedicato opere intramontabili.

La filosofia politica ha dato vita ad ampie riflessioni sul tema della giustizia.

In epoca moderna nasce il contrattualismo, di cui i maggiori esponenti sono Hobbes, Locke e Rousseau. Gangale ne esamina il pensiero, ma, per la prima volta negli studi sull’argomento, introduce anche l’analisi dei pensatori che si oppongono alle teorie contrattualiste: George Hegel, Edith Stein e Martha Nussbaum. L’autrice passa quindi ad analizzare gli scenari che si sono aperti tra il 2020 ed il 2022, quando, in emergenza Covid, si è verificato un inedito susseguirsi di norme di legge e di stati di emergenza che hanno affossato i più elementari diritti garantiti dalla Costituzione, fino ad arrivare al ricatto a mezzo di legge per obbligare i cittadini alla somministrazione di vaccini sperimentali assumendosene in prima persona tutte le eventuali conseguenze negative (che, infatti, ci sono state e che continuano a verificarsi, nella forma di malattie irreversibili e “malori improvvisi”).

Molteplici continuano i riferimenti filosofici presentati dall’autrice: Abelardo, Tommaso d’Aquino, Kant, Dewey, Bentham et John Stuart Mill, Nietzsche, Rawls e Papa Benedetto XVI sono tra questi (ma non sono che alcuni fra i tanti).

L’ultima parte del libro è quella si fanno largo la psicologia e la sociologia nell’ambito dell’etica e della giustizia. In essa sono poste tematiche quali: il controllo sociale, le aggregazioni tribali, l’ordine sociale, i rituali collettivi, la socializzazione, il rispetto dell’autorità, la discriminazione, il pensiero unico, la tolleranza, le capacità umane.

Insomma, un libro molto denso nella sua sinteticità, ricco di spunti creativi e che offre degli stimoli piuttosto interessanti agli studiosi di filosofia politica e di sociologia delle masse.

LINK: www.grin.com/document/1372661

Keywords: justice, contractualisme, ius, droit, societé

“Nous crachons sur Hegel” de Carla Lonzi traduit pour la première fois en France

Figure emblématique du féminisme italien, Carla Lonzi (Florence, 1931 – Milan, 1982) est très appréciée en France. Dans ce pays, les universités ne cessent de lui consacrer des séminaires et des journées d’étude.

Carla Lonzi a commencé par être critique d’art. En 1968, lors d’un voyage aux États-Unis, elle découvre les groupes féministes d’autoconscience et reconnaît leur immense importance politique. De retour en Italie, à l’âge de 37 ans, elle abandonne une carrière prometteuse dans le monde de l’art et fonde avec d’autres femmes la Rivolta femminile, un groupe exclusivement composé de femmes féministes. Nous sommes en 1970, à Rome, et à ses côtés dans cette aventure, Carla Accardi et Elvira Banotti.

 Les livres de Carla Lonzi, toujours très actuels, discutés et étudiés aujourd’hui, sont pourtant difficiles à trouver. Nombre de ses textes ont été traduits en anglais, en allemand et en espagnol, mais il y a eu plusieurs éditions pirates, ainsi que des extrapolations de certains de ses écrits publiées à très petits tirages et rapidement épuisées.

 Aujourd’hui, en France précisément, la maison d’édition “Nous” (dont le catalogue est rempli de grands noms de la littérature italienne) propose pour la première fois une traduction du livre Sputiamo su Hegel, livre culte du féminisme italien, qui concentre en six textes la pensée féministe de Carla Lonzi.

 Il s’agit d’une opération éditoriale ambitieuse pour un essai qui fait date dans l’histoire du féminisme radical. Les traductrices de l’ouvrage sont Muriel Comber et Patrizia Atzei, auxquelles le magazine français Trou Noir consacre une longue interview ce mois-ci.

 Muriel Comber, dit : « À cette époque, il y avait dans le Parti Communiste Italien des groupes féministes, mais ils étaient mixtes. Cela conduisait souvent à des situations où les hommes parlaient pour les femmes. C’est avec ça aussi qu’elle voulait rompre. Les femmes devaient s’emparer de la parole et de l’expression, pour dire avec leurs mots ce qu’elles vivaient et d’abord se le dire entre elles. Pour Carla Lonzi, il s’agit d’un processus psychique qui n’est pas individuel. Intervient là une notion importante pour elle qui est celle de résonance. Ce qui se passe dans le groupe d’autoconscience, c’est qu’une parole va résonner. Une expérience vécue par une femme, et donc un psychisme, va résonner avec un autre psychisme. Et ce processus a un effet de conversion subjective très fort. Pour elle, c’est l’outil fondamental de déconstruction de la culture patriarcale hégémonique ».

 Patrizia Atzei, parlant du livre de Lonzi, Autoritratto, déclare : « Elle était déjà rebelle en effet. Autoportrait date de 1969 et précède de peu sa rencontre avec le féminisme. Il s’agit d’un ensemble d’entretiens avec des artistes, assez connus à l’époque, dans lesquels elle déjoue en acte son rôle de critique d’art. Elle laisse parler les artistes, elle conteste la place du critique dans le monde de l’art… C’est très touchant parce que ce livre est le point culminant de sa carrière de critique d’art et le moment où elle l’abandonne. Parce que pour elle le monde de l’art est incompatible avec le féminisme. Une des singularités de son féminisme réside dans une certaine confiance dans les mots, dans l’écriture, dans les livres. Mais le féminisme c’est quelque chose que l’on fait, que l’on fait dans la vie. Sans théorie préalable, sans « ligne », sans mots d’ordre. Et cela redéfinit aussi ce que c’est que de faire de la politique à une époque où le marxisme était hégémonique en Italie, y compris dans la culture, dans la littérature, dans la philosophie et dans une certaine manière d’être féministe. Là encore, elle est en décalage avec son époque, avec ce qui se pratique autour d’elle. En résulte un positionnement très singulier vis-à-vis du militantisme, y compris féministe.

 La question de l’authenticité est en effet centrale chez Carla Lonzi, une manière qu’elle a eu d’expliquer le passage du monde de l’art au féminisme réside dans le noyau de créativité qu’elle pensait trouver chez les artistes. Mais en fréquentant le monde de l’art, elle s’est rendu compte que les artistes n’étaient pas libres, que leur validation était liée à une norme culturelle, à quelque chose d’extrêmement codifié, et que sans cette validation, ils n’étaient pas en mesure de porter leurs œuvres. Sa recherche de l’authenticité s’est donc déplacée des artistes aux femmes. Sa rupture radicale avec le monde de l’art est très intéressante, d’autant plus que depuis toujours et d’une manière particulière récemment, Carla Lonzi a été « récupérée » par le monde de l’art. Elle intéresse beaucoup les femmes qui ont une pratique artistique et qui sont féministes, mais pour elle il s’agit de deux mondes irréconciliables ».

 L’interview souligne que le féminisme de Lonzi est sans compromis, mais qu’en même temps, elle ne veut pas se réaliser aux dépens des hommes. Le titre de son livre Spit on Hegel signifie que la révolution marxiste, théorisée par la gauche hégélienne, résoudra les questions soulevées par le féminisme. Lonzi, en revanche, est convaincue que la révolution féministe est antérieure à toute autre révolution.

 Comber ajoute : « À l’occasion d’une présentation du livre à Paris, nous avons fait la connaissance d’une metteuse en scène italienne qui a collecté des témoignages de femmes ayant connu Carla Lonzi. L’une d’elles évoque les réunions de femmes dans l’appartement de Lonzi, sa présence lumineuse et sa capacité à inviter chacune à une parole vraie. J’ai trouvé belle cette évocation de l’écoute, du geste qui consiste à chercher ce qui relie, à tirer un fil conducteur comme lorsque l’on élabore de la pensée. Pour recueillir le précieux des singularités qui sont là ».

Le journal de Nina Lugovskaya 1932-1937

En 1933, alors que la dictature stalinienne connaît sa période la plus sombre et la plus féroce, tout en se préoccupant de diffuser à l’étranger l’image d’une Russie florissante et heureuse, une jeune Russe de quinze ans, Nina Lugovskaya, commence à écrire son journal. Il en ressort une image totalement différente de cet immense pays dans ces années-là et de ce que vit sa capitale, Moscou. Dans cette ville, les perquisitions de police sont quotidiennes, les gens meurent littéralement de faim et il est interdit de prononcer des paroles dissidentes à l’encontre du régime.

Le journal est une exploration des émotions privées et publiques de la jeune fille, car, comme le dit la philosophe américaine Martha Nussbaum, qui s’est toujours intéressée aux “émotions politiques”, « les émotions des gens réagissent aux institutions dans lesquelles ils vivent »1.

Nina est une jeune moscovite très intelligente et brillante, fragile et émotive. Elle souffre beaucoup d’un léger strabisme qui lui donne l’impression d’être monstrueuse et entrave ses relations avec les autres. Son regard extrêmement lucide et son sens très élevé de l’honnêteté l’amènent à analyser avec une clarté et une précision extraordinaires le monde sombre et étouffant dans lequel elle se trouve plongée et sa vie intérieure, dont elle enregistre les nombreux moments d’abattement, de colère, de déception, d’amertume et de dépression dans un effort presque cruel. Son style est étonnamment mature, et les passages les plus réussis sont peut-être ceux où la veine littéraire de la jeune femme s’exprime dans les descriptions de paysages, de saisons et d’atmosphères, si vivantes qu’on a l’impression de les voir.

Nina observe avec curiosité la vie de ses deux sœurs, Lyalya et Zhenya, qu’elle juge beaucoup plus intéressante que la sienne. Elle aime en secret, nourrit l’ambition de devenir écrivaine et souffre beaucoup de l’absence de son père, qu’elle voit rarement en secret, car il est en exil pour des raisons politiques, recherché et arrêté à plusieurs reprises par la police russe. Elle est une grande lectrice de grands romans russes et aime aller au théâtre.

La découverte de ce journal intime est une sorte de “miracle archivistique”. Dans les années 1990, il a été découvert presque par hasard dans les archives du KGB. Il a été trouvé par une historienne de l’association Memorial de Moscou, Irina Osipova, qui rassemblait des preuves sur la répression politique et les prisonniers dans les prisons staliniennes.

Comme Anne Frank en Allemagne, Nina Lugovskaya est un témoin involontaire de l’histoire et, comme Anne, Nina n’a rien à se reprocher. Certes, la situation vécue par Anne Frank est plus désespérée, car comme le souligne l’écrivaine Ljudmila Ulickaja, Anne « est déjà prise au piège, déjà condamnée, et la force de son journal réside dans le fait que nous, lecteurs, le comprenons, même si elle n’a pas encore perdu l’espoir de survivre »2.

Nina vit avec malaise le manque de son père – “un ennemi du peuple”, qui marquera son destin –, la lutte pour faire vivre la famille de sa mère, éducatrice de profession, et surtout le sentiment d’oppression qu’elle éprouve à l’école, où tout l’ennuie et où elle se sent étrangère. Le journal devient alors le seul moyen de se défouler et son seul confident. Dans son journal, Nina, qui souffrait de dépression et se sentait “monstrueuse” à cause d’un léger strabisme, corrigé par la suite par une opération chirurgicale, confie ses fantasmes suicidaires, alternant avec des moments où elle réaffirme sa volonté de vivre.

La vie m’a regardé en face avec des yeux peu joyeux, exorbités. Elle est avare et dépourvue de joie. La maman est épuisée, malade et toujours occupée. Nous n’avons pas d’argent, il y a de la misère. Mon monde intérieur, mes idéaux sont encore plus misérables. A l’école, je suis prise dans un tourbillon et je ne pense pas, mais à la maison… la monotonie et l’inactivité portent avec elles des pensées sombres qui me tourmentent sans relâche. Et je n’ai aucun but. Tout est désagréable et odieux. Je veux vivre, je veux m’amuser sans trop penser. Les livres ne me passionnent plus. Je lis un peu, et à nouveau… je commence à réfléchir et à me sentir malheureuse. Peut-être que pour sortir de ma misère, un jour, qui sait quand, je me mettrai à boire…3

Le journal est plein de passages où Nina se dévalorise, déclare son malaise existentiel, se qualifie de laide et fait preuve de très peu d’estime de soi.

Par exemple, elle écrit :

Mais qu’est-ce que ce destin sournois ? Il ne m’a rien donné : ni physique, ni capacité, ni talent, mais l’amour-propre, l’orgueil et l’ambition aussi. C’est de la cruauté. De plus, je suis une femme de la tête aux pieds. Priver une femme de sa beauté est une moquerie…4

Ses premiers flirts, son intérêt pour les garçons sont décrits en détail. Son besoin d’amour est très fort :

J’ai envie d’un ami et, je le reconnais, d’un homme-ami. Je veux simplement de l’amour, ne pas être éternellement seule.

D’une manière ou d’une autre, le vide de ma vie et je me marierai probablement bientôt, en me moquant de tous les aspects désagréables qu’une femme doit affronter pour avoir des enfants, pour avoir la possibilité d’aimer quelqu’un, de caresser quelqu’un5.

Je veux l’amour, je veux m’annuler dans ce sentiment, dissoudre mon moi, m’oublier moi-même, cesser d’analyser pour percevoir seulement l’amour et la sérénité bienheureuse. Mais l’amour n’est pas là. Une obscure inquiétude me tourmente qui devient parfois si envahissante.6

Il y a une très forte répulsion pour l’école, que Nina considère comme un environnement ennuyeux, dans lequel il n’y a pas de place pour une pensée critique et où le conformisme est omniprésent. Chaque fois qu’elle le peut, la jeune fille se soustrait à des jours de cours. Et surprend aussi le jugement tranchant sur ses professeurs :

Pourquoi cette singulière lutte et inimitié entre l’administration scolaire et les étudiants ? Pourquoi harceler les professeurs en leur faisant des blagues de mauvais goût, pourquoi ne pas vivre ensemble amicalement, en nous aidant les uns les autres ?

Il faut abattre quelque chose, cette barrière qui sépare les élèves des enseignants : le problème doit être posé d’une autre manière. Les professeurs interdisent toujours quelque chose aux étudiants, ils font des choses désagréables, des remarques, et c’est exaspérant. Il n’y a pas les conditions pour développer les côtés positifs de leur caractère. Leurs pires instincts prévalent, qui les privent de toute joie dans la relation spirituelle. Il n’est pas étrange que le monde soit fondé sur l’inimitié, ou c’est une loi de la nature.7

Parmi les pages les plus surprenantes du journal figurent celles où Nina décrit avec précision les établissements commerciaux réservés aux élites soviétiques (pp. 82-83) et celles où elle parle de la famine en Ukraine :

Il se passe des choses étranges en Russie. Faim, cannibalisme… Les gens qui viennent de la province racontent beaucoup de faits. Ils disent qu’ils n’ont pas le temps de ramasser les cadavres dans les rues, que les villes de province sont pleines de affamés, de paysans déchirés. Partout des vols horribles et du banditisme.

Et l’Ukraine ? La fertile et vaste Ukraine… Qu’est-elle devenue ? Personne ne la reconnaît plus. Elle est steppe morte et silencieuse. On ne voit plus le grand seigle doré ni le blé soyeux, leurs épis pensants ne se balancent plus au vent. La steppe est couverte de mauvaises herbes. Il n’y a plus de grands et joyeux villages ukrainiens ni de petites maisons blanches, on n’entend plus les chansons ukrainiennes retentissantes. Ici et là, on aperçoit des villages morts, vides. Tous les hommes se sont enfuis.8

Il y a de l’amertume face au triste sort qui a été réservé au peuple russe :

Non, les Russes ne peuvent pas gagner la liberté et ils ne peuvent pas non plus vivre dans la liberté. Depuis l’époque où les Slaves ont appelé les Varices pour les gouverner, ils ont été sous le pouvoir de quelqu’un. Et ils seront toujours sous un joug. On ne peut qu’être d’accord avec Tourgueniev lorsqu’il dit que « le peuple russe a moins besoin de la liberté que de toute autre chose ». Il n’en a pas besoin parce qu’il n’est pas capable de la défendre.9

La troisième et dernière partie du journal de Nina est consacrée presque exclusivement à ses affaires personnelles. La jeune fille arrête d’écrire sur la politique et les événements publics et déclare qu’elle ne veut regarder que vers l’avant. Ces pages sont traversées par un sombre présage, qui va bientôt se réaliser. Le 4 janvier 1937, la police secrète fait une descente dans l’appartement de Lugovskoy et saisit le journal de Nina. Pour elle, pour ses sœurs et pour sa mère, les portes du goulag s’ouvrent.

Les policiers soviétiques ont souligné les différentes parties du journal dans lesquelles Nina parle des conditions de vie désespérées du peuple russe et de sa haine personnelle pour les bolcheviks. Ces passages seront plus tard utilisés par le pouvoir stalinien pour arrêter Nina, ses deux sœurs et sa mère et les condamner à cinq ans d’emprisonnement et de travaux forcés dans les camps de prisonniers de la Kolyma, dans l’Arctique soviétique. En 1942, elle est libérée mais contrainte à un nouvel exil de sept ans dans une région reculée de la Kolyma. C’est en 1942, à Magadan, en Sibérie, qu’elle rencontre son futur mari, Viktor Templin, un peintre condamné à quatre ans de travaux forcés pour les “tendances modernistes” de son art. Elle commence à peindre et tente de s’intégrer dans la société soviétique.

La mère et les sœurs de Nina ont survécu à Kolyma. Sa mère Ljubov meurt en 1949 et son père Sergei en 1950.

En 1959, Nina s’installe avec son mari Viktor à Vladimir, où elle restera jusqu’à sa mort.

En 1977, elle devient membre de la prestigieuse Union des artistes, expose ses œuvres dans diverses expositions et travaille comme décoratrice dans différents théâtres. À Magadan, elle rencontre le peintre Vasili Shukhayev, dont elle se considère comme l’élève.

Elle travaille comme décoratrice avec son mari Viktor dans divers théâtres de province et le couple connaît également un certain succès.

Nina nous a parlé de son adolescence tourmentée, cruellement interrompue dans sa transition vers l’âge adulte. Elle nous a parlé de rêves brisés et d’un désir de normalité brisé par la brutalité du pouvoir. Nina ne pourra pas aller à l’université comme elle l’aurait souhaité. Nous savons très peu de choses de son emprisonnement, si ce n’est que, étant donné son très jeune âge, toutes les autres détenues s’occupaient d’elle dans la prison de Butyrskaïa (la “Butyrka”) à Moscou, où son père avait déjà été emprisonné10. Soumise à des tortures cruelles et prolongées, y compris la privation de sommeil, Nina a avoué des crimes qu’elle n’avait jamais commis et a signé sa propre condamnation.

Après le goulag, elle a vécu près d’un demi-siècle, renonçant à l’écriture poursuivant son travail d’artiste. Ses amis à Vladimir ne connaissaient rien de son passé et se souvenaient d’elle comme d’une personne réservée et gentille.

Nina meurt en 1993 à l’âge de 74 ans, après avoir assisté à l’effondrement de l’Union soviétique deux ans plus tôt. Elle est enterrée dans le cimetière d’Ulybyshevo à côté de son mari Viktor.

En 2008, ses journaux intimes ont été exposés au musée de la littérature de Moscou dans le cadre d’une exposition intitulée “Les trois vies de Nina Lugovskaya” : d’abord écolière, puis déportée et enfin, après les années de camp de concentration, artiste.

Keywords: Russie, Stalin, journal, Lugovskaya, camps de concentration

NOTES

  1. M. Nussbaum, La monarchia della paura, Il Mulino, Bologne 2020, p. 143. la traduction de l’italien au français, comme les autres qui suivent, sont à moi.
  2. Cité dans Elena Kostioukovitch, Un ritrovamento archeologico: la voce adolescente di denuncia, in Nina Lugovskaja, Il diario di Nina, traduit et annoté par Elena Dundovich, édité et préfacé par Elena Kostioukovitch, Frassinelli, Milan 2006, p. 478.
  3. Il diario di Nina, Frassinelli, Milan 2005, p. 168.
  4. Il diario di Nina, p. 284.
  5. Il diario di Nina, pp. 293-294.
  6. Il diario di Nina, p. 296.
  7. Il diario di Nina, pp. 283-284.
  8. Il diario di Nina, pp. 85-86.
  9. Il diario di Nina, p. 67.
  10. Le témoignage touchant est celui d’Evgenija Ginzburg dans Krutoj maršrut (Voyage dans le vertige).

Pour aller plus loin

I Want to Live: The Diary of a Young Girl in Stalin’s Russia, Nina Lugovskaja. Houghton Mifflin Harcourt, 2006.

Il diario di Nina, Nina Lugovskaja, Edizioni Frassinelli, Milano 2004

www.lrb.co.uk/the-paper/v26/n09/sheila-fitzpatrick/pessimism-and-boys

https://1972.substack.com/p/nel-diario-di-nina-lugovskaya-lesatta

www.publishersweekly.com/9780618605750

www.theguardian.com/books/2006/aug/06/historybooks.features

www.unive.it/pag/fileadmin/user_upload/dipartimenti/DSLCC/documenti/DEP/numeri/n22/05_22__maggio2013-Cicognini.pdf